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Cluster 14 | E.R.S.T.U.

Enjeux et Représentations de la Science, de la Technologie et de leurs Usages.

L’Ecole de Lvov-Varsovie et la discussion des principes fondamentaux de la logique et de la pensée.

Opération de recherche

Responsable(s) : Aimable Dufatanye, Pierre-François Moreau
Voir en ligne : Institut Desanti

Institut Desanti

Au XXe siècle l’Europe centrale et orientale fut un des lieux privilégiés de la recherche philosophique. La philosophie polonaise plus particulièrement connut une période de rayonnement principalement avec l’école de Lvov-Varsovie (fondée par Kazimierz Twardowski à la fin du XIXe siècle). Cependant la philosophie polonaise ainsi que les courants qui lui sont attenants, ne font pas aujourd’hui en France l’objet d’études à la hauteur de l’intérêt qu’elle recèle pour la recherche contemporaine.

Cela s’explique en partie par la grande influence de la philosophie autrichienne et particulièrement du cercle de Vienne qui détourna l’attention des études faites sur la philosophie de l’Europe centrale et orientale du XXe siècle et qui occulta les développements majeurs que connaissait pendant ce temps la philosophie polonaise. La méconnaissance de celle-ci fut telle que certains auteurs en arrivèrent à la considérer comme une simple extension du cercle de Vienne. S’il est vrai que L’Ecole de Lvov-Varsovie a beaucoup hérité de la philosophie de l’Europe centrale de la fin du XIXe siècle, tout particulièrement de Brentano ou de Alexius Meinong, elle a cependant pris une voie manifestement originale par rapport au cercle de Vienne. Une des spécificités de l’école de Lvov-Varsovie est liée à l’approche méthodologique adoptée par ses représentants. Une place importante accordée à l’usage des méthodes formelles pour discuter les questions philosophiques, leur manière de concevoir le rapport entre la philosophie et la logique sont des traits caractéristiques de cette école. Aussi faut-il signaler leur récusation du rejet empiriste de la métaphysique prôné par les tenants du cercle de Vienne.

On peut aussi estimer qu’une des caractéristiques de l’école de Lvov-Varsovie aura été, en cultivant des liens avec des intérêts plus généraux et, en un certain sens, plus anciens, de la mathématisation de la logique inaugurée par Boole et De Morgan, de ne pas s’engager intégralement dans l’orientation « fondationaliste » inaugurée par Frege, sous l’aspect du programme logiciste, et de conserver des capacités d’accueil pour des recherches apparemment purement techniques et d’inspiration algébrisante, dont la portée « logique » n’est pas immédiatement lisible, mais qui vont se révéler techniquement très puissantes : le calcul des relations de Schröder que Frege laisse rapidement de côté, les matrices de Langford et ce qui, avec Löwenheim, permettra l’édification de procédures de décision sur les systèmes formels, envisagés comme structures algébriques généralisables, et ainsi la redéfinition par Tarski d’un « concept » de vérité au niveau « sémantique » du modèle et non plus de la fonction propositionnellle. En un sens, on peut dire qu’avec cela, l’Ecole polonaise, désormais élargie internationalement, et indépendante du débat Viennois, était en mesure de faire place à un ensemble de solutions pour obvier aux « impasses » auxquelles le premier résultat de Gödel conduisait les programmes fondationnalistes, notamment logiciste, mais pas forcément la « logique mathématique » comme telle. Cette perspective est cependant ignorée ou mal prise en compte par les philosophes de la logique, qui n’ont dans leur majorité exploré que les réponses, ou les démissions, du second Wittgenstein, face au programme fondationniste et celles de Quine face à l’Encyclopédie de Carnap. Un des grands mérites de cette école est d’avoir réouvert un débat sur les principes dits « fondamentaux » , « absolu » et « évidents » pour la logique et pour la pensée. Jan Lukasiewicz réamorça ce débat par un ouvrage important consacré à la discussion du principe de contradiction chez Aristote. En développant, par la suite , une logique trivalente récusant la loi de bivalence, il mettait fin à la croyance en l’absoluité et en l’universalité d’une logique fondée sur les principes prétendument évidents que sont le principe du tiers exclu et de non contradiction. Dans l’école de Lvov-Varsovie, les travaux qui ont suivi témoignent d’une liberté par rapport à ce qui pourrait être considéré comme du dogmatisme à l’égard de certains principes. C’est cette liberté d’esprit qui favorisa l’essor de recherches en logique, mathématique et sémantique dont Stanislaw Lesniewski, Tadeusz Kotarbinski, Alfred Tarski, Tadeusz Czezowski, Kazimierz Ajdukiewicz, Stanisław Jaśkowski, Adolf Lindenbaum, Andrzej Mostowski, Moses Presburger, Jerzy Słupecki, sont les figures de proue sans oublier d’autres logiciens dont les travaux ont été la base de l’invention de différents systèmes formels.

Nous ne manquerons pas de signaler que les études contemporaines montrent que, loin de se limiter à ces aspects, l’école de Lvov-Varsovie apporta une contribution, et non des moindres, au développement de la phénoménologie analytique. Néanmoins, n’ayant pas la prétention de faire un travail exhaustif sur l’oeuvre immense de l’école de Lvov-Varsovie, durant nos travaux nous mettrons davantage en exergue l’exceptionnelle richesse théorique de ce milieu philosophique qui, en amorçant une discussion sur un débat considéré comme clos, allait constituer pour ainsi dire l’esquisse d’un nouveau paradigme pour la logique et pour la science.

Notre étude aura un double objectif : du point de vue de l’histoire de la philosophie de la logique et de l’histoire des sciences nous voulons analyser la contribution de l’école de Lvov-Varsovie et dégager les idées de cette école pouvant éclairer les débats philosophiques contemporains sur la nature du rapport qui existe entre la logique et la philosophie, entre la logique et les mathématiques et entre la logique et la technologie ; Le deuxième objectif est de répondre à l’appel lancé par l’école de Lvov-Varsovie pour une rediscussion des principes de la logique. En s’inspirant des travaux de cette école et sur des discussions contemporaines qui se font au travers des logiques dites non-standard (logiques paraconsistantes, logiques floues, logiques relevantes...) et au travers de certains courants comme le « dialéthéisme », nous voulons formuler notre propre réflexion et donner une contribution aux questions relatives à la nature et la validité des principes logiques, voire aux fondements de la logique elle-même. Nous voulons aussi dégager et analyser et les conséquences qu’une remise en question des principes logiques peut avoir sur le développement de la science et de la technique.

Notre travail se rattache à l’un des axes du projet de l’Institut JT Desanti dans le cadre du PPF 2007-2010 portant sur l’histoire des modalités en logique et en philosophie des sciences. Il a des aspects qui dépassent ce cadre et exigent une collaboration avec le cluster 14 et, plutôt que de chercher à proposer un nouveau projet, nous souhaitons que le nôtre s’inscrive, au moins partiellement dans celui dirigé par D. Parocchia, sur les processus de modélisation et la théorie de la science (la modélisation mathématique). En l’occurrence, il s’agit des origines mêmes, ou de la racine de la conceptualisation moderne de la modélisation, puisqu’elle porte sur la logique et, s’aperçoit-on, rencontre très tôt, l’obligation de se diversifier.

Modalités de travail :
— 1. Un premier volet de nos travaux consitera en un atelier de traduction (du polonais) et de commentaires de certains textes philosophiques importants de l’école de Lvov- Varsovie et présentant un intérêt actuel.
— 2. Un groupe de réflexion se réunira un après midi par mois pendant une année pour discuter certains thèmes qui auront eté proposés ou pour faire des commentaires sur l’un ou l’autre texte qui manifeste un intérêt pour la recherche en cours. Chaque réunion sera faite d’un exposé et de discussions et commentaires sur des textes qui auront été préalablement circulés.
— 3. Nous organiserons un colloque ou une journée d’étude dont le thème sera : « dédogmatisation des principes de la logique et conséquences pour la science et la technique : la contribution de l’école de Lvov-Varsovie ».
— 4. Un groupe sera chargé du travail de rédaction et de publication d’un volume finalisant et regroupant le fruit de ces recherches.

Collaboration avec des réseaux rhonalpins et extra-rhonalpins

L’institut Desanti /ENS-LSH mettra en avant une collaboration étroite tant avec la Faculté de philosophie de Lyon 3 ainsi qu’avec l’École Normale Supérieure de Lyon (ENS- sciences). Ainsi qu’avec l’équipe grenobloise du groupe « Philosophie, Langages & Cognition » de l’Université Pierre Mendès France-Grenoble 2 (qui manifeste un intérêt pour l’étude des travaux des auteurs de l’Ecole de Lvov-varsovie).

Nous pensons collaborer :
- avec l’Institut d’histoire et de philosophie des sciences et des techniques de Paris où madame Wioletta Miskiewicz (membre statutaire de l’IHPST, chargée de recherche au CNRS) est responsable d’un projet international consacré à la numérisation et l’exploitation scientifique des archives de l’École de Lvov -Varsovie.
- avec Archives H. Poincaré - Département de philosophie, Université Nancy 2.

Collaboration avec des réseaux internationaux

Nous pensons donner à notre recherche une dimension internationale en collaborant avec des universités de Pologne comme l’Université Jagellonne de Cracovie où enseigne le philosophe Jan Wolenski qui a largement contribué à la redécouverte de l’héritage philosophique de l’École de Lvov-Varsovie à laquelle il a consacré deux ouvrages monographiques ainsi que des dizaines d’articles historiques et polémiques ; L’Université de Varsovie et l’Université Marie Curie Skladowska de Lublin. Nous nous pensons également à l’ Institut de logique et Centre de Recherches Sémiologiques, Université de Neuchâtel, Faculté des lettres et sciences humaines (Suisse).

Résultats envisagés

Le produit visé est un volume qui contiendrait une traduction du polonais au français d’un ensemble de textes représentatifs et pour certains encore inédits en français de l’Ecole de Lvov-Varsovie. Il comprendrait également une synthèse des discussions menées lors des réunions et diverses rencontres, ainsi que le compte rendu d’interventions lors des colloques. Tout ceci serait mis en œuvre afin d’assurer la diffusion des apports de l’école de Lvov-Varsovie ainsi que l’augmentation de la littérature secondaire sur ce courant dans l’optique de poursuivre une rediscussion critique des principes logiques libérée de tout dogmatisme.