Suivre la vie du site Firefox Lettre d'info SPIP
Notice légale et crédits | Membres

Cluster 14 | E.R.S.T.U.

Enjeux et Représentations de la Science, de la Technologie et de leurs Usages.

Projet 6. Politiques scientifiques et politiques publiques : enjeux des sciences sociales.

Responsable(s) : Renaud Payre

Préambule

Dans la perspective de renforcer la cohérence de cet axe et son articulation avec les autres axes du Cluster et après avoir pris connaissance du rapport d’expertise de M. Bernard Voutat, nous mettrons en place à partir du mois de mai 2006 un séminaire mensuel d’axe. Ce dernier qui associera les responsables des quatre projets portera sur la thématique Les sciences de gouvernement comme cadres de l’action publique. Par ailleurs les porteurs de projets ainsi que les chercheurs mobilisés participeront à la mise en place d’un séminaire transversal aux axes et qui sera consacré à « la production, la ré-appropriation et le contrôle des savoirs dans l’espace public ».

Cette proposition de recherche s’inscrit dans la continuité des travaux entrepris depuis plusieurs années déjà et qui se situent à la jonction entre l’analyse des politiques publiques et l’étude des sciences de gouvernement (cf : Olivier Ihl, Martine Kaluszynski, Gilles Pollet, Les sciences de gouvernement, Paris, Economica, 2003 ; 2003/2 de la Revue française de science politique « Sur la formation des sciences de gouvernement » coordonné par Rachel Vanneuville et Renaud Payre). De manière très générale, ces derniers proposent de recourir principalement à l’analyse socio-historique afin de saisir et d’analyser les savoirs produits et utilisés par les différentes instances et dispositifs de gouvernement. Ces savoirs, ces sciences et technologies de gouvernement sont en effet porteurs de représentations, d’idées, de valeurs, de normes et d’intérêts qui sont constitutives de la réalité même de l’action publique. On peut ainsi dire qu’ils constituent tout à la fois les conditions de possibilité ainsi que les bornes de toutes politiques publiques. Par rapport au cluster 14, cette ouverture disciplinaire permettra d’interroger la façon dont les activités scientifiques sont intégrées aux dispositifs gouvernementaux, de réfléchir aux liens entre sciences et politique publique autrement que le biais de l’éthique ou de l’acceptabilité sociale. En somme, d’enrichir le programme de travail du cluster en élargissant l’attention à toute une série de questions demeurées jusque là implicites ou inexplorées.

La perspective socio-historique, à l’opposée de l’approche synchronique développée en France dans les travaux de sociologie des sciences menées par exemple à l’Ecole des Mines de Paris, fait l’objet d’une longue tradition aux Etats-Unis notamment, où elle s’est développée depuis la fin de la seconde guerre mondiale autour de la thématique des politiques de la science. Le présent axe de recherche propose d’engager la réflexion sur cette thématique peu investie dans le champ académique français, alors même que l’actualité européenne des politiques de la recherche, dans laquelle on débat entre autre de la « gouvernance démocratique de la science », la constitue en objet même de politique publique. On peut d’ailleurs faire le constat que la conduite de l’action gouvernementale est de plus en plus souvent objet de revendications de scientificité, en même temps que la dimension politique de la science est toujours plus débattue, et parfois dénoncée.

De notre point de vue, les « politiques scientifiques » renvoient aussi bien à des disciplines académiques institutionnalisées (droit, sciences administratives, science politique, sciences économiques, management, gestion, science du vote, urbanisme et aménagement, géographie, etc.), qu’à des savoirs techniques et à des technologies de gouvernement spécifiques (statistiques, recensements, dispositifs budgétaires et juridiques, contrôle de gestion, planification, évaluation, expérimentation, cartographie, formulaires, archives, organigrammes, etc.). Au-delà de cette distinction traditionnelle, il nous paraît intéressant d’engager une réflexion sur les liens qui unissent les aspects politiques, scientifiques, mais aussi techniques d’une même action publique. Il s’agirait de progresser dans la connaissance des interdépendances entre les choix proprement politiques ou idéologiques, les modélisations produites par les disciplines académiques et les dispositifs techniques concrets (statistiques par exemple) mis en place à l’occasion d’une action publique. Une telle globalisation de l’objet « politiques scientifiques » permet au demeurant d’offrir par le biais des « outils d’action publique » une porte d’entrée privilégiée pour aborder une sociologie renouvelée des disciplines et des emprunts académiques. Plus facilement envisagés comme des objets politiques que les sciences dans lesquels ils sont imbriqués, les outils et dispositifs de gouvernement offrent ensuite un bon observatoire empirique pour engager une réflexion féconde sur les frontières et les rapports entre sciences et politiques.

Nous proposons d’explorer les relations entre politiques scientifiques et politiques publiques en privilégiant deux types d’entrées problématiques ; ces dernières étant systématiquement mises à l’épreuve de quelques observatoires empiriques privilégiés par les équipes adhérents au projet. A chaque fois que cela sera possible, on s’attachera à saisir la dimension historique, diachronique, des processus et phénomènes observés. On tentera alors de faire varier, à partir de terrains bien délimités, l’angle d’approche pour mieux saisir dans leur complexité les relations entre savoirs et politiques publiques. Nous partirons d’un angle assez large - celui de la circulation et de la fabrique des savoirs -, avant de saisir les formes de mobilisation et d’appropriation de ces savoirs par les instances de gouvernement, pour enfin réduire la focale sur la production d’indicateurs et de savoirs techniques mobilisés, par les acteurs eux-mêmes, dans le cadre de la mise en œuvre de l’action publique.

Deux questionnements organisent donc cet axe. Le premier porte sur la fabrique des cadres de l’action publique appréhendée à partir de la circulation de savoirs et de technologies de gouvernement. Le deuxième se penche sur la constitution et la mobilisation simultanée des savoirs scientifiques et des dispositifs et outils techniques qui leur sont liés dans l’activité gouvernementale, qu’elle soit nationale ou locale.

Thème 1. La circulation de savoirs et de technologies de gouvernement

Il est désormais acquis que les savoirs et technologies utilisés pour gouverner dans un système politique donné sont construits puis mobilisés, tout en étant parfois transformés, au sein d’autres systèmes politiques. En un mot, les savoirs, technologies et innovations voyagent. Il s’agit de prendre en compte ces multiples circulations de savoirs et de dispositifs innovants pour mieux comprendre certaines similitudes et certaines différences caractérisant la mise en œuvre de politiques publiques, apparemment ou partiellement similaires, dans différents pays. La comparaison entre les systèmes académiques sera particulièrement étudiée. Elle s’entendra dans une optique précise. Non pas en vue de juxtaposer la description de deux mondes universitaires ou d’opérer des inventaires « de bonnes pratiques » mais bien d’analyser les transferts opérés notamment d’une rive à l’autre de l’Atlantique. Et partant de confronter les circuits de diffusion et d’accréditation de ces sciences de gouvernement. Tel est finalement l’enjeu de l’attention portée aux concepts comme aux savoirs faire, aux transactions comme aux concurrences qui forment la trame de ces pratiques de gouvernement.

L’explication en termes d’influence n’est qu’un voile de fumée qui bien souvent empêche l’enquête sur les usages et les appropriations de savoirs allogènes. C’est en partie pour discuter une analyse aussi simplificatrice que nous nous proposons de nous interroger sur l’existence de circulations transnationales d’idées, de savoirs et de techniques de gouvernement ; circulations qui permettent de questionner autrement la fabrique des cadres de l’action publique et des technologies de gouvernement. Deux angles d’attaque empiriques seront ainsi privilégiés : « L’observatoire transatlantique ou la diffusion de modèles d’action » d’une part, et « Réseaux d’experts et normes d’action publique » d’autre part

Thème 2. Les savoirs et outils de gouvernement

On s’intéressera ici en priorité, d’une part aux types de savoirs scientifiques et académiques qui sont mobilisés dans les institutions de formation des cadres de l’action publique, d’autre part, aux formes organisationnelles et aux savoirs produits par les instances de gouvernement. Il s’agit tout d’abord de comprendre comment des savoirs académiques s’institutionnalisent et deviennent des ressources légitimes pour l’action publique elle-même. On peut ensuite tenter d’expliquer comment des instances de gouvernement produisent, en leur sein ou à leur périphérie, des savoirs pratiques pour leurs agents érigés en quasi-savoir scientifique.

A nouveau, deux principaux niveaux d’analyse peuvent être mobilisés, que l’on se place dans la cadre des interventions de l’Etat central, ou encore d’entités territoriales, voire d’instances supra-nationales.