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Cluster 14 | E.R.S.T.U.

Enjeux et Représentations de la Science, de la Technologie et de leurs Usages.

Qu’est-ce qu’un resultat scientifique ? Y-a-t-il des résultats dans les sciences humaines ?

Opération de recherche

Responsable(s) : Sylvain Auroux, Bernard Lahire

La capacité de reconnaître et de citer des « résultats » ou des « découvertes » fait partie de la « culture générale » dans le domaine de la physique, de la chimie, des mathématiques ou de la médecine. Cela suppose un objet désignable, une date, voire un auteur (la « découverte de la pénicilline », de la « loi de chute des corps », de la « classification périodique des éléments ») ; parfois l’ensemble est condensé par l’utilisation pour désigner l’objet du nom d’un personnage (« le théorème de Moivre »). Il est certain que cette façon de voir les choses induit des conséquences lourdes sur la théorie de la science, qu’elle peut être critiquée dans son assignation individualiste à un « inventeur », voire dans la discrétisation des connaissances scientifiques qu’elle produit (d’où le problème des « précurseurs ») ou dans sa relation à une conception naïve du « progrès ». On se propose d’aborder la question par un autre biais, celui de la situation particulière des sciences humaines.

À première vue, si l’on pose autour de soi la question de citer ne fussent que dix « grandes découvertes » à propos d’un quelconque domaine des sciences humaines, nous n’aurons pas les mêmes résultats que pour les sciences de la nature, à l’exception de la géographie où l’on évoquera éventuellement des découvertes de « territoire » (C. Colomb !). Prenons les choses à l’envers. C’est-à-dire posons des questions du genre : qui a découvert (ou inventé) l’ « ergatif » (Oihonart, 1638 sous le nom de casus activus ou casus agendi pour le basque) ? quand sont apparus les premiers paradigmes grammaticaux (en marge de bilingues sumérien/akkadien au tournant des 3e et 2nd millénaires avant notre ère) ? On peut sans doute aller plus loin : qui sait ce qu’est la « loi de Grimm » ou celle de Grassman ? Des sujets bien informés sont, au mieux, capables de renvoyer à des éléments globaux (« Saussure a fondé la linguistique » ; « Durkheim a fondé la sociologie »). Cette situation a des conséquences lourdes pour les sciences humaines :

- on pense souvent qu’il n’y a tout simplement ni « résultats » ni « découvertes » dans ces disciplines et que les changements sont essentiellement des changements de système d’interprétation ;
- une telle situation contribue à une mauvaise visibilité tant au sein de la société en général qu’au sein des comités officiels qui ont à juger des politiques scientifiques ; il est probable que le recul actuel de la place des SHS dans les politiques publiques (investissements et subventions) n’est pas sans lien avec ces représentations des sciences humaines ;
- l’élaboration des programmes SHS en souffre ; il est difficile de dégager les résultats attendus ; on imagine mal, par exemple, de pouvoir présenter une publication sur les grandes découvertes attendues dans les dix prochaines années en histoire.

Le programme de recherche se fixe pour objectif de faire d’abord une analyse théorique de la question : la situation est-elle due à la nature même des science humaines et de leur manière d’administrer la preuve, à une situation historique particulière ou à un mode d’organisation des disciplines ? On formulera toutefois l’hypothèse selon laquelle les représentations qui circulent à propos des SHS et des connaissances qu’elles produisent sont déterminantes et qu’il n’est pas absurde d’essayer de défendre un autre type de représentation. Les résultats du Laboratoire d’Histoire des théories linguistiques nous engagent dans ce sens ( cf. S. Auroux (dir), Histoire des Idées linguistiques , 3 vols, Liège, Mardaga, 1980-2000 ; S. Auroux, La révolution technologique de la grammatisation , Liège, Mardaga, 1994). Non seulement les sciences humaines ne se réduisent pas à une « herméneutique libre » (J.-C. Passeron, Le Raisonnement sociologique. L’espace non-poppérien du raisonnement naturel , Paris, Nathan, 1991) et ne sont pas condamnées à accepter et à diffuser une conception ultra-relativiste de la « démocratie interprétative » ( cf. B. Lahire, L’Esprit sociologique , Paris, Éditions la Découverte, 2005), mais elles peuvent montrer qu’elles sont capables d’« innovation », qu’elles produisent des « résultats », qu’elles connaissent une certaine « cumulativité critique » de ces résultats, etc.

Les forces : S. Auroux et membres de l’UMR 7597, Histoire des Théories Linguistiques. B. Lahire et membres de l’UMR 5040, Groupe de Recherche sur la Socialisation. Ensemble des participants (linguistes, sociologues, historiens, géographes, anthropologues...) au séminaire pluri-disciplinaire.

Modalités pratiques : Nous souhaitons mettre en place un séminaire pluri-disciplinaire en sciences humaines (linguistes, sociologues, historiens, géographes, anthropologues...) afin d’interroger la manière dont chaque discipline conçoit les notions de « découvertes », d’« inventions », de « résultats », de « cumulativité scientifique », etc. Le programme envisage la collaboration institutionnelle du département SHS du CNRS.

Résultats envisagés : Un ouvrage de synthèse sur la question