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Cluster 14 | E.R.S.T.U.

Enjeux et Représentations de la Science, de la Technologie et de leurs Usages.

La technologie comme science de l’interface

Opération

Responsable(s) : Joëlle Forest

Créée en 1957, L’INSA de Lyon inventait un modèle alternatif de formation et de recherche scientifique et technique. L’affichage de formation et de recherche était clairement annoncé : l’application des sciences. La notion de sciences appliquées sous-entendait la construction d’une interface particulière de la science et de la technique.

Le contexte de la recherche et de la formation, tout comme le contexte économique engage toute réflexion sur le projet des écoles d’ingénieur en général et sur celui de l’INSA en particulier, à prendre la technique comme une question et non pas comme un préalable allant de soi. Ce questionnement fonde le présent projet de recherche.

L’histoire, la philosophie, la sociologie et l’anthropologie, montrent qu’il n’y pas de sociétés sans activités techniques. Très longtemps -jusqu’aux temps modernes- l’activité technique s’est fondée en dehors de tout savoir scientifique constitué : « Le savoir-faire pratique [...] est dépourvu de justification théorique. C’est une des raisons du mode de sa transmission, qui ne consiste pas à démontrer, mais à montrer : l’apprenti apprend à faire en regardant faire le maître » [Séris, 1994, 218]. Le changement et la modernité se traduisent par l’apparition de la justification théorique du savoir-faire pratique et la naissance de la technologie, entendue comme construction particulière d’une interface entre science et technique.

Précisément notre projet de recherche vise à interroger la relation d’interface spécifique que la technologie organise entre science et technique. Se pose alors la question de savoir :
-  Que recouvre l’activité technique ?
-  Si l’on accepte l’idée selon laquelle la principale caractéristique de la technique, c’est la méthode, peut-on réduire la technique à l’application des sciences ? L’activité technique relève-t-elle du seul tour de main professionnel ? Relève-t-elle de l’application des connaissances produites par les sciences ?
-  La technique met-elle en jeu un type de rationalité spécifique ?

On peut facilement constater que l’activité ou « l’art » de l’ingénieur, dans sa représentation et sa mise en œuvre moderne [au sens historique du terme], s’est principalement fondé sur l’utilisation intelligente des différentes sciences pour concevoir et développer les nombreux systèmes techniques. Cette représentation est sans doute à l’origine de la réduction de la technique à la seule application des sciences comme semble d’ailleurs en attester par exemple le nom même de l’INSA de lyon : Institut National de Sciences Appliquées.

Ce point de vue est-il légitime ? Nous faisons l’hypothèse contraire : la technique est la mise en œuvre d’une rationalité particulière, la raison ingénieuse, héritière de la mètis grecque ou de l’ingenium défini par le philosophe italien Vico (Pons, Lemoigne).

L’ingénieur ne serait-il pas cet être ingénieux (Faucheux, Forest, 2006) qui, doué d’intelligence rusée, mélange action et réflexion, dire et faire, conception et production, langage et technique ? Ainsi cette hypothèse renouvelle complètement la question et la représentation des interfaces contribuant au développement d’une épistémologie de l’invention et de la rationalité techniques. En ce sens, questionner la technique, c’est d’abord questionner la légitimité intellectuelle qui a consisté à fonder le modèle des écoles d’ingénieurs sur le paradigme des sciences d’analyse, disciplinaires et morcelant la connaissance. Ce paradigme semble avoir évacué hors du champ des connaissances scientifiques les sciences de l’ingénieux ou sciences de l’artificiel. Or, l’articulation de la technique à une raison ingénieuse ne conduit elle pas à repenser la cartographie des savoirs et à repenser le modèle de formation des écoles d’ingénieurs ?

La question se pose dans la mesure où la formation des ingénieurs privilégie la raison analytique, c’est-à-dire la connaissance (ou contemplation) scientifique du monde, alors même que leur action engage la raison ingénieuse. Il y aurait donc un hiatus entre formation et action. Hiatus qui se traduit aussi dans l’activité de recherche, dès lors que la recherche privilégie la science au dépens de la technique -posée au rang des instruments de la connaissance scientifiques et non pas comme forme de la connaissance. Autrement dit, la question de l’interface entre formation et recherche dans les écoles d’ingénieurs ne se pose t-elle pas en des termes nouveaux ?

Si les écoles d’ingénieurs semblent s’inscrire dans ce hiatus, qu’en est-il de la représentation de leur formation ? Nous pouvons faire l’hypothèse qu’elles ont un choix à faire en matière de représentation de la formation technique : réduire la technique à l’application des sciences ou l’associer à la raison ingénieuse. Ce choix est alors l’indice d’un modèle qui s’inscrit dans la « culture » de l’école. La technique véhicule des imageries, elle est représentée par des objets référence (Sfez, 2002), mais elle est aussi pourvoyeuse d’émotion et de fascination (Jeanneret, 2002). Nous faisons l’hypothèse que les discours à son propos (pour opérer un rapprochement avec la technologie comme discours sur la technique), souvent empreints de narration (Chouteau, Nguyen, 2005), nous permettent de prendre la mesure, sur le plan symbolique de la représentation, de ce hiatus.

La recherche se fondera sur les actions suivantes :
-  un travail de recherche sur la raison ingénieuse. Il s’agira d’apprécier partant d’un travail de recherche bibliographique (collecte et traitement de données bibliographiques, et synthèse), l’état des connaissances sur la dite raison et de mettre cette perspective théorique à l’épreuve des faits. Pour ce faire un séminaire rassemblant des professionnels sera organisé ;
-  un travail de mémoire, sur la façon dont l’INSA de Lyon a abordé la question de la technique depuis sa création. A considérer la technologie comme un discours sur la technique, on peut en effet s’intéresser à celui produit par l’INSA de Lyon. L’évolution du discours de l’institution sur la technique peut certainement nous aider à comprendre les rapports d’interfaces entre science et technique, voire même entre science, technique et société.
- en parallèle à ce travail monographique et chronologique, nous souhaitons effectuer un travail comparatif. En effet, si nous partons du principe que la technique transforme le monde et que l’ingénieur maîtrise la technique, comprendre comment les écoles d’ingénieurs représentent la technique et la science, c’est en prolongement comprendre comment ces dernières représentent la transformation du monde induite par l’ingénieur et de ce fait, quel est le modèle de l’ingénieur sous-jacent. Cela nous amènera à travailler en substance sur la communication institutionnelle produite par les écoles d’ingénieurs, communication caractéristique de l’inscription de la technique dans un récit d’aventure, de transformation... Les fictions (en tant que monde possible : celui rendu par la technique et par la formation) proposées traduisent-elles un choix entre simple application ou utilisation de la raison ingénieuse ? C’est à ce titre que nous travaillerons notamment sur les images de la technique (à travers les machines par exemple), l’apprentissage de la technique (relations élève-disciple et élève/machine) proposés dans les plaquettes des écoles d’ingénieurs rhonalpines. Cette analyse sera complétée par un travail de recueil d’informations auprès des écoles, des professionnels de la communication et du public visé par ces outils communicationnels : les futurs élèves ingénieurs. Il s’agira de confronter les représentations de l’activité de l’ingénieur et de mieux connaître sa « mise en communication ».

Cette action fera l’objet d’une journée d’étude sur les liens récit, technique, images et organisation et d’articles dans des revues à comité de lecture.

Etat d’avancement (réalisation en juin 2006) : Sur le sujet n° 1, le travail d’investigation sur le terrain a débuté donnant lieu à la production de deux communications. Un colloque « Les recherches en sciences humaines et sociales dans les écoles d’ingénieurs » a également été organisé à l’INSA de Lyon.