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Cluster 14 | E.R.S.T.U.

Enjeux et Représentations de la Science, de la Technologie et de leurs Usages.

Construction des interfaces entre science et société

Thème

Responsable(s) : Dominique Vinck

Pertinence scientifique du projet

La question des interfaces, entendus comme les rapports et interactions constructifs entre disciplines (biologie/économie par exemple) ou ensemble de sciences (sciences humaines/sciences de la nature), ne sont pas réductibles à la seule influence plus ou moins critiquable d’une science sur l’autre. Nous faisons en effet l’hypothèse que les interfaces ont un rôle essentiel dans la réorganisation de la cartographie des savoirs. Plus précisément nous avançons l’hypothèse que les interfaces sont l’un des opérateurs épistémologiques qui permettent de penser la réorganisation des savoirs contemporains tout comme l’élaboration de la science elle-même.

L’enjeu est donc de penser la question des interfaces pour en faire non une question épistémologique périphérique, un enjeu de limites disciplinaires, mais un facteur d’engendrement de nouveaux concepts et construction de nouveaux champs de savoir Cela conduit à reconnaître le caractère mouvant des sciences. L’interface permet de penser la science non comme espace constitué de connaissances, mais comme construction en acte ce qui implique d’appréhender les sciences à travers le jeu mouvant, inachevé des failles et des déplacements conceptuels (qu’il s’agisse de rencontres qui prennent la forme de controverses, de migrations qui engendrent de nouvelles disciplines par hybridation) plutôt qu’à travers la représentation d’un savoir achevé. Accepter cette approche permet de se focaliser sur le processus qui conduit à une telle cartographie, processus qui on le conçoit aisément n’est pas exempt de son inscription temporelle et sociale (influence des politiques de la science, d’individus ...).

Au delà de cette première acception « internaliste », on entendra aussi interface, selon une prise en compte des relations externes au monde de la science, du point de vue des investissements et des enjeux relevant des acteurs sociaux (institutions, professionnels, publics). La sociologie des sciences, tant du côté des investigations en laboratoire que dans les enquêtes sur les formes de sciences citoyennes, a montré tout le bénéfice à attendre à travailler aux zones de contact entre modalités de connaissance et contextes de mobilisation de connaissances. Que ce soit dans les domaines des risques (environnement, technologiques, santé) où ceux de la culture scientifique (amateurs, curiosité critique), il est avéré que l’engagement, en science, des différentes composantes de la société civile est un facteur décisif des inventions et des mises en œuvre des différentes formes de connaissance. L’expertise profane, l’accessibilité aux savoirs académiques sous de nouveaux média (internet), le renouvellement des modes de jugement critique sur les progrès scientifique et technique, sont autant de points d’opérations conjoints entre dynamiques scientifiques et dynamiques sociales.

Autant dire que les deux acceptions de l’interface sont ici en complémentarité, et ce sera un des enjeux de ce premier projet que de documenter ces mises en résonance.

Pertinence économique et sociétale

L’enjeu de ce projet n’est pas exclusivement « scientifique » il est également économique et sociétal. Economique car si on accepte l’idée d’une corrélation entre savoirs et innovation il est alors possible de s’interroger sur les implications d’une nouvelle cartographie des savoirs sur la capacité d’innovation d’une région ou économie. L’enjeu peut être aussi de stimuler le jeu des interfaces pour favoriser le processus d’innovation. Sociétal, car se demander comment se constitue l’espace de la science n’est pas sans lien avec la question sur sa place sociale. Ce projet devrait également permettre de porter un regard critique sur la formation scientifique, ses modalités et « outils », sur l’insertion sociale de la connaissance (profane et académique), et sur les enjeux sociétaux de demandes de science. Il pourra également conduire à analyser les dynamiques interdisciplinaires des sciences permettant aux pouvoirs politico-administratifs un suivi plus adapté par rapport aux enjeux tant théoriques qu’appliqués de la recherche.

Objectifs

Partant des enjeux précédemment cités, les objectifs de ce projet sont :

- 1 | D’observer et penser les conditions et les mouvements d’émergence et de construction des interfaces. En particulier lorsqu’on aborde la question de la technique à travers le concept de récit. Ce concept peut en outre être pensé comme un opérateur épistémologique, vecteur d’interfaces, qui peut permettre d’approcher l’articulation entre science et technique.
- 2 | D’observer l’appropriation de nouvelles sciences et techniques par le grand public (par l’identification des mythes accompagnant ces nouvelles sciences et techniques). Il sera question d’identifier de nouveaux modèles de référence et les mythes, métaphores et analogies qui s’y rapportent et les animent
- 3 | D’observer la diffusion des interdisciplines dans le monde académique au travers de cas-types précis (économie-biologie...)
- 4 | De questionner la cartographie traditionnelle des savoirs qui a présidé à la structuration des écoles d’ingénieurs en la rapportant à la cartographie que peuvent engendrer les sciences de l’artificiel
- 5 | D’identifier les « objets » (conceptuels, matériels) constitutifs des interfaces, leurs usagers et les modalités de cet usage afin de comprendre une nouvelle cartographie des savoirs

Organisation générale du projet

La question des interfaces sera déclinée à partir de trois niveaux d’analyse complémentaires :

Le niveau macro se focalise sur la relation : dynamique scientifique/dynamique sociale notamment du point de vue des investissements et des enjeux relevant des acteurs sociaux (institutions, professionnels, publics).

Il sera alors possible d’identifier les « motifs » de l’engagement du public dans l’intérêt pour les attendus scientifiques et pour une prise de participation dans l’établissement des connaissances (CRESAL). A ce niveau aussi pourra se lire le processus de symbolisation sociale de la technique dès lorsque celle-ci peut se penser à travers la catégorie interface du récit. Sera privilégiée une analyse des objets techniques qui définit ceux-ci comme objets de langage et plus précisément de récit. La technique peut se lire, en effet, comme récit, car elle se symbolise à travers des fictions, des mythes, des fables, des métaphores témoignant au final de cette relation entre science, technique et société. Le niveau macro permettra d’analyser comment la technique, productrice de langage et de récits, est de ce fait véritablement une techno-logie (STOICA). Il permettra aussi d’étudier l’ensemble multiforme de récits engendrés par la technique, les modes d’articulation et d’emboîtement de ces récits entre eux en un programme de recherche que nous pourrions nommer « les Technologiques » par référence aux « Mythologiques » de Lévi-Strauss (1964).

Il sera en outre question ici d’examiner les tensions qu’alimentent les sciences à la hauteur des enjeux qu’elles ont pour la société en général. On tâchera de restaurer la dynamique scientifique dans son rôle d’interface d’une part avec l’économique et les marchés ouverts par les innovations et le « développement », d’autre part avec les politiques et le débat public qui contribue aussi à l’examen des méthodes qui orientent les projets scientifiques souvent liés à des perspectives économiques et politiques (GREPH).

Le niveau méso s’intéresse aux rapports et interactions constructifs entre disciplines, biologie/économie par exemple, (CREUSET) ou ensemble de sciences, sciences de l’artificiel/sciences de la nature (STOICA).

Il s’agira notamment de savoir si l’interface entre savoirs disciplinaires permet l’émergence de nouveaux savoirs ou aide simplement à réorganiser (repenser) les savoirs eux mêmes. On peut en effet se demander si la recomposition des savoirs est source d’émergence de nouvelles sciences (sciences pour l’ingénieur, sciences de l’artificiel, sciences cognitives, etc.) par le biais d’une construction accrue d’interfaces, ou s’il s’agit d’une illusion de perspective dans la mesure où le processus académique de développement disciplinaire procéderait de toute façon historiquement par emprunts successifs. Quel est le sens et la valeur épistémologiques de la construction d’interfaces dans les sciences ? Les interfaces qui font jouer entre eux les savoirs sont-elles un élément de construction scientifique ? Ces questions visent à penser la science comme processus dynamique, jeu de déplacement conceptuels et de failles épistémologiques et non comme savoir délimité et achevé. Elles permettent notamment d’envisager la question des interfaces à travers la figure rhétorique de l’analogie. Il sera alors possible de s’interroger sur la place de l’analogie dans le processus. La construction d’interfaces favorise-t-elle le jeu de l’analogie contribuant ainsi à déplacer ou a réorienter des concepts, ou bien l’analogie est-elle un élément de la construction d’interface ? L’analogie à l’œuvre entre disciplines ne joue-t-elle qu’un rôle provisoire, avant la stabilisation de concepts véritables, ou fait-elle partie d’une dynamique scientifique permanente ?

Le niveau micro s’intéresse quant à lui à l’élaboration même des interfaces.

Il s’agira ici de montrer que les interfaces travaillées ne se donnent pas dans une pure essentialité, mais qu’elles sont le lieu d’un travail d’élaboration, de documentation et de validation. Les enjeux dans les procédures d’accès aux connaissances et aux besoins de connaissance ne sont pas à renvoyer in fine, dans des modèles de vulgarisation ou d’acceptabilité sociale (GREPH). Au contraire, il semble bien que ces critères interviennent très tôt dans les processus d’élaboration des connaissances, profanes comme académiques, tout autant dans les modes microsociologiques d’engagement des chercheurs eux-mêmes, que dans les légitimations macrosociales des cadres de mobilisation des moyens accordés à tel ou tel domaine de recherche (CRESAL). Le statut des données, le jeu critique sur les modèles, les questions d’applicabilité des résultats, sont autant de dimensions qui sont à l’œuvre dans ces interfaces de l’accessibilité sociale à la science.

En tant que « passeur » particulièrement efficace, notamment dans un contexte pédagogique, le récit permet de faire passer un message abstrait, complexe et d’assurer ainsi le lien entre émetteur et récepteur. La forme narrative est donc une de ces « constructions » en acte à observer dans le monde des sciences et techniques. Il est aussi, à un niveau micro, une interface illustrant une capacité à raconter le monde universellement partagé (STOICA).

Ces différents niveaux seront abordés à partir de quatre opérations de recherche.

- 1 | Technique et récit : vers une nouvelle cartographie des savoirs
- 2 | Economie et biologie. Histoires et dynamiques actuelles d’une mise en rapport
- 3 | Quelle place pour les sciences de l’artificiel ?
- 4 | Interfaces entre sciences naturelles et sciences humaines : enjeux scientifiques et partage des savoirs

Axes structurants

Trois dimensions seront plus particulièrement explorées.

- 1 | La question de la configuration des objets de science : comment sont-ils constitués, quelles sont les règles qui ouvrent ou qui ferment telle ou telle configuration ; en quoi une prise en compte de la dimension profane conduit à renouveler (ou non) les cadres normatifs d’une discipline à un moment donné ; symétriquement, qu’est-ce qu’un « objet du monde » offre comme prises pour apparaître de manière partagée comme « objet de science »...
- 2 | La question des relations de pouvoir entre disciplines ou parties de disciplines : le monde de la science n’est pas un long fleuve tranquille, il offre plutôt une image contrastée, avec des avancées pour certains, des reculs pour d’autres, avec des conflits au niveau des moyens, des enjeux de reconnaissance, de médiatisation... Le séminaire tâchera de décrypter ces relations de pouvoir à partir de cas précis.
- 3 | Enfin, il s’agirait de cerner les dimensions d’une éthique de la recherche (les valeurs qui font qu’on s’attache à une approche, qu’on y tient, qu’on accepte d’y prendre des risques), clé sans doute décisive d’une refondation du contrat entre science et société qui soit à la hauteur des enjeux du monde contemporain. Comment, dans l’expérimentation d’autres manières de faire de la science et de la publier (d’en assumer la dimension collective), se travaille ce que serait une dimension morale de l’activité scientifique, qui traverserait les disciplines et qui les relierait de manière transductive ?

Forme des résultats du projet

Des thèses de doctorat (3 ou 4) qui intègrent la présente problématique dans le questionnement de thèse. Des publications individuelles et collectives, sous la forme d’articles dans les revues académiques, mais aussi un ouvrage collectif. Etudes de cas Une proposition de guidelines à destination des écoles d’ingénieurs

Acteurs du projet

Les équipes de recherche suivantes sont associées dans ce projet :

CRESAL, Equipe d’accueil (UMR n° 5043 du CNRS)

Chercheurs impliqués Jacques Roux, Ingénieur de recherche au CRESAL-CNRS, Florian Charvolin, Chargé de recherche au CRESAL-CNRS, Jérôme Michalon, doctorant au CRESAL, Université Jean Monnet de Saint-Etienne

Compétences des acteurs sur le thème Le Cresal s’est, depuis 1985 et son colloque sur les Situations d’expertise et la socialisation des savoirs, toujours préoccupé de la question des cadres cognitifs de l’action sociale, et de leurs usages multiples par les acteurs. L’intérêt pour l’intelligence des situations, la réflexivité avec laquelle les acteurs prennent connaissance des situations dans lesquelles ils sont engagés et font retour sur elles, tant du point de vue ethnométhodologique à travers les techniques de compte-rendu telles que la photographie, ou du point de vue d’un dispositif d’expérimentation collective tel que les séminaires d’habitants résidant près des zones à problème, tous ces exemples traités par les chercheurs et enseignants du Cresal, témoignent d’un souci constant pour les rapports, vus d’en bas, entre connaissance et société. A ces préoccupations s’est progressivement rajouté un intérêt pour la science comme activité organisée et lieu où se rejoue la question de l’assise sociale des connaissances, dans des modalités pour lesquelles il appartient au chercheur de cerner les contrastes avec les activités profanes. Il ne s’agit plus alors, depuis quelques années, de se limiter à la question de la « construction sociale de la réalité » des problèmes dits « sociaux » auxquels tout un chacun est confronté, mais d’ouvrir la sociologie à la question de la science, d’introduire à la sociologie le vaste champ des connaissances scientifiques, qu’il s’agisse d’ornithologie ou de sciences des matériaux, sans se départir de l’interrogation initiale sur ce que le faire société doit à la connaissance et inversement.

CREUSET, Equipe d’accueil EA 3724, Université de St Etienne

Chercheurs impliqués Bellet Michel, Pr économie ; P. Solal, Pr économie ; R. Baron, MC informatique, J. Durieu, MC économie ; M. Pélissier, MC économie.

Compétences des acteurs sur le thème Une des spécialisations internationales du centre est la théorie des jeux, dans son utilisation en contexte adaptatif (théorie des jeux évolutionnaires au sens large). Une autre, transversale, est la philosophie économique et l’histoire de l’analyse économique. Le CREUSET a débuté depuis fin 2004 un travail sur les rapports entre biologie et économie : il entretient des liens avec l’INSA Lyon (séminaires notamment) et avec le GREQAM (CNRS, Aix-Marseille 3, unité de philosophie économique) et il a organisé avec ce dernier quatre journées d’études sur le thème. Il a un accord pour la participation de l’Institut des Systèmes Complexes Rhône-Alpes (dir. M. Morvan), avec l’implication d’informaticiens et de biologistes intéressés par le programme (V. Volpert, DR Lyon 1 ; P. Lescanne, ENS Lyon en contact). De nouveaux contacts sont prévus en 2006 : P. Tort, (philosophe, Directeur de l’Institut Charles Darwin International,), J. Gayon (philosophe, Institut Universitaire de France, Université de Bourgogne).

GREPH, JE 2396 IEP de Lyon

Chercheurs impliqués Michel Jacques , Pr science politique Dufourt Daniel, Pr économie) Papaefthymiou Sophie, Pr droit Vergnon Gilles, MCF HDR en histoire Guineret Hervé, MCF HDR philosophie

Compétences des acteurs sur le thème L’objet du GREPH est d’étudier les effets du développement des sciences et des techniques sur les représentations sociales et politiques ainsi que sur l’action publique. Equipe de science politique, et résolument pluridisciplinaire, le GREPH s’intéresse particulièrement à l’analyse épistémologique des liens complexes qui se nouent entre les sciences de la nature et les sciences sociales. Soucieux de comprendre les savoirs des sciences dites « dures », il s’attache aussi à situer et à caractériser la place et la part des « savants » dans la vie intellectuelle et politique.Le GREPH entend ainsi proposer aux enseignants et aux chercheurs, comme aux étudiants (de DEA ou doctorants), un lieu de réflexion analysant de manière approfondie notre vie politique par une connaissance plus précise de son environnement scientifique et technique.

STOICA, équipe de recherche du Centre des Humanités de l’INSA de Lyon

Chercheurs impliqués M. Chouteau, MCassocié à l’INSA de Lyon M. Faucheux , MC en littérature, HDR J. Forest, MC en économie D. Gindis, doctorant en économie C. Nguyen, docteur en Sciences de l’information et de la communication C. Méhier, MC associé à l’INSA de Lyon A.F. Schmid, MC en philosophie, HDR

Compétences des acteurs sur le thème Partant du constat de la contribution de la conception au processus d’innovation, l’équipe STOICA s’intéresse depuis plusieurs années, à la conception, aux liens étroits entretenus entre conception et innovation. Ses travaux visent plus précisément à apporter leur pierre à la construction d’une science de la conception ou pour le dire autrement à développer des connaissances sur la conception. C’est à partir de ce type de recherches qu’elle s’interroge aujourd’hui sur les raisons à même d’expliquer le « sous développement » des sciences de l’artificiel. Spécialistes d’épistémologie, de littérature, de sciences de l’information et de la communication, les participants au projet « Technique et récit : vers une nouvelle cartographie des savoirs », pratiquent l’interdisciplinarité, ont publié ouvrages et articles sur l’épistémologie de celle-ci, mais aussi sur le lien entre technique et récit et le contexte de leur « interaction ». Leurs travaux passés et à venir visent à aborder de façon nouvelle la technique, en la pensant à travers la question du langage et de la communication. Ces voies nouvelles de recherche, combinées à la question de la modélisation, ont finalement pour ambition de repenser la cartographie des savoirs d’ingénieur.

Durée du projet

3 ans (2006 - 2009)

Mots clés du projet

Interface, société, cartographie des savoirs, connaissances, récit