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Cluster 14 | E.R.S.T.U.

Enjeux et Représentations de la Science, de la Technologie et de leurs Usages.

Sciences, techniques, pouvoirs, fictions : discours et représentations, XIXème-XXIème siècles

6ème séance du séminaire de recherche ouvert : "Positivisme, scientisme, darwinisme dans la littérature et les sciences sociales depuis la seconde moitié du XIXème siècle : triomphe et contestations.

23 avril 2008
17h30 - 19h00, à la Maison des Langues et des Cultures, salle des Conseils, au 2ème étage, salle 218 (1141, avenue centrale - Saint Martin d’Hères)
contact : Geneviève Chignard, Lise Dumasy

Conférence de Monsieur Ion Vezeanu Docteur en philosophie, Chercheur PLC, Université Grenoble2

« Anthropotechnie, transhumanisme et éthique »

Lorsque les Anciens se questionnaient sur le but de l’homme dans la vie, ils s’accordaient tous sur un constat très simple, presque banal, à savoir qu’il n’est pas important de vivre le plus longtemps possible, mais le mieux possible. L’homme ne doit pas se soucier de richesses, réputation et honneurs (epimelesthai), mais il doit se soucier de lui-même, de l’amélioration morale de son âme (epimelê). C’est parce que celle-ci entraîne celles-là et non l’inverse.

À la fin du XXe siècle et au début du XXIe siècle se sont développées des nouvelles techniques médicales de modification, d’amélioration et d’augmentation des performances humaines. Il s’agit de la médecine améliorative et de l’anthropotechnie (la fabrication de l’homme par l’homme). Dans cette perspective, le corps humain est envisagé comme le produit artificiel d’une construction hybride (homme-machine) et non comme le résultat naturel d’une procréation « générique » (l’homme est engendré par l’homme d’une génération à l’autre), qui est un processus intégré dans le cadre plus large de l’évolution naturelle.

Les difficultés surgissent à plusieurs niveaux. Tout d’abord, il y a des confusions scientifiques, car l’anthropotechnie semble une pratique extra-médicale, qui n’a pas pour but le soin médical et le traitement des malades, mais l’augmentation des capacités physiques et intellectuelles des personnes qui ne souffrent d’aucune pathologie. En justifiant leur démarche, les chercheurs semblent renoncer au type de rationalité propre à la science, pour aller puiser dans l’imaginaire fantastique, la science-fiction, la magie et la mythologie. Les projets des alchimistes et des magiciens du Moyen-âge et de la Renaissance ont été repris à la lettre par les scientifiques contemporains.

Ensuite, il a des problèmes idéologiques. Nous assistons aux résurgences des conceptions qui prônent la création du post-humain ou du transhumain, d’un homme qui pourrait aller au-delà de ce qu’il est, à l’aide des nouveaux progrès des technosciences. L’évolution darwinienne, qui était purement naturelle, ne saurait s’accomplir maintenant que sous une forme déviée, de manière artificielle, à l’aide de l’ingénierie génétique et des micro- et nanotechnologies. L’arrière plan des pratiques eugéniques, raciales et sociales, propres à la fois au surhomme et à l’homme nouveau des idéologies totalitaires du dernier siècle, constitue le même soubassement pour le transhumanisme anthropotechnique. Ce dernier s’attaque à la nature même de l’homme. Ainsi, cette nouvelle idéologie ne vise plus l’uniformité raciale ou l’égalité sociale et économique des individus, mais leur métissage artificiel et de manière irréversible. Est-ce le symptôme de « l’échec » du darwinisme, de son incapacité à prédire ce que deviendra l’Homme ?

Enfin, il y a des problèmes de type conceptuel et éthique. Il s’agit de montrer que la rationalité scientifique commence à céder la place à une rationalité magique et mythologique ; bref, que dans la confusion, le muthos semble l’emporter sur le logos. Ainsi, le discours philosophique, qui à pour but essentiel depuis plus de vingt-cinq siècles l’éducation morale et l’évolution intellectuelle de l’homme, se présente comme le seul contrefort rationnel et éthique, bien modeste, face aux succès des discours idéologiques contemporains.

C’est pourquoi, nous confrontons la démarche philosophique d’amélioration morale de l’homme par l’éducation (la démarche éthique par excellence), et le projet des idéologies contemporaines d’augmentation des performances humaines par la fusion opérée entre l’homme et la machine. Il s’agit de comparer le transhumanisme mythologique et philosophique, dans son sens originaire d’initiation des disciples à plus de connaissance et de vie spirituelle (id est vers une humanité plus riche, plus profonde), avec le transhumanisme anthropotechnique, dans son sens contemporain (id est vers une humanité dégénérée car hybride, à l’exemple des chimères et des cyborgs).

C’est pourquoi, il est crucial de préciser de manière critique le sens de ces notions. Les confusions, l’ignorance et les distorsions sémantiques risquent de laisser la voie libre à des idéologies extrémistes, à des nouveaux millénarismes, des messianismes utopiques et totalitaires. Les enjeux sont importants, puisque le statut même de l’homme est en cause, conséquence importante de la confusion entre l’idée d’une évolution naturelle à la Darwin et l’évolution artificielle selon le progrès technoscientifique.

* * * *

Ion VEZEANU : Docteur en philosophie (2003) ; Chargé de cours (1996-2003) ; ATER (2003-2005) ; Chargé de cours (2005-2008) ; Chercheur, PLC - Université Pierre Mendès France - Grenoble 2

Quelques publications

« Ovidiu Petca. La nostalgie du ludique », in Encyclopædia Bio-Bibliographical of the Art of the Contemporary Ex-libris, vol. 21, Da Motta Miranda, Portugal, 1997, p. 133 138.

« Le Moi et l’unité de la conscience ou le rapport corps-esprit », Les Actes du Colloque international sur les sciences cognitives et les neurosciences, Ministère de la Recherche, Paris, 18 20 juin 2003, p. 86-91.

« Moi-même comme un autre. Identité personnelle et langage », in I. Copoeru et N. Szabo (éd.), Beyond Identity. Transformations of Identity in a (Post-) Modern World, Cluj, Editura Casa Cartii de Stiinta, 2004, p. 104-124.

« L’Absurdité de l’identité selon Wittgenstein », Revue de Théologie et de Philosophie, Genève, n° 137, 2005, p. 19-34.

« L’Identité personnelle chez Wittgenstein. Une approche pragmatique », Revue de Théologie et de Philosophie, Genève, n° 137, 2005, p. 35-48.

« Communication, dialogue et intelligence », Studia, Cluj, Coll. Ephemerides, n° 2, 2005, p. 3-24.

« “ Ce doit être moi puisque je suis ici ! ”. Agnosie et reconnaissance », Studia, Cluj, Coll. Philosophia, n° 2, 2005, p. 153-178.

« L’intelligence artificielle. Le problème de la créativité dans le langage », in Jean-Yves Goffi (sous la dir. de), Regards sur les technosciences, Paris, J. Vrin, 2006, p. 165-183.

« La théorie logique de l’identité absolue », Logique & Analyse, n°194, Bruxelles, juin 2006, p. 169-190.

« Identité, changement et évolution. Problèmes de logique et de biologie », Cahiers Philosophiques, n° 108, Paris, Décembre 2006, p. 79-97.

« Éthique et terreur de la communication », Studia, col. Ephemerides, Cluj, n° 2, 2006 p. 3 29.

« Les nanotechnologies et le chaos communicationnel », VivantInfo, Paris, 15 janvier 2007 ; http://www.vivantinfo.com.

« Paradoxes logiques : des solutions et un dépassement », Symposion, Revista de stiinte socio-umane, Editura Academiei Române, tomul 5, n° 1(9), Iaşi, 2007, p. 5-35.

« Nécessité ou contingence. L’ambiguïté d’une loi logique fondamentale », Revue Roumaine de Philosophie, Editura Academiei Române, tome 52, n° 1-2, Bucuresti, 2008, p. 17-36.

« Le principe d’identité. Gardies critique de Leibniz et de Frege », in Jean-Marie Lardic (sous la dir. de), Logiques & Normes, Paris, Vrin, 2008, p. 7-38. L’Identité personnelle à travers le temps. De quelques difficultés de philosophie de l’esprit, Paris, Éditions de l’Harmattan, coll. « La librairie des Humanités », 2006 (308 p.). Impossibilia moralia. Ethique de la recherche scientifique, Paris, l’Harmattan, coll. « Les théories à l’épreuve des faits », 2007 (167 p.).