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Cluster 14 | E.R.S.T.U.

Enjeux et Représentations de la Science, de la Technologie et de leurs Usages.

Sciences, techniques, pouvoirs, fictions : discours et représentations, XIXème-XXIème siècles

2ème séance du séminaire de recherche ouvert : "Positivisme, scientisme, darwinisme dans la littérature et les sciences sociales depuis la seconde moitié du XIXème siècle : triomphe et contestations.

16 janvier 2008
17h30 - 19h00, à la Maison des Langues et des Cultures, salle des Conseils, au 2ème étage, salle 218 (1141, avenue centrale - Saint Martin d’Hères)
contact : Geneviève Chignard, Lise Dumasy

Intervention de : Gaëlle LE DREF, Doctorante en philosophie, Université de Strasbourg : « Des théories de la dégénérescence au darwinisme social et à la sociobiologie : quand scientifiques et philosophes discourent sur les moyens de guérir le corps social »

Au 18e siècle, les théories naturalistes de l’évolution croisent le mythe de la chute originelle : l’homme est devenu proprement homme en ayant été confronté à un environnement hostile. L’épreuve l’a humanisé et a fait s’exprimer son potentiel. Se fait ainsi jour l’idée que l’évolution humaine est l’histoire de son progrès, c’est-à-dire de son travail et de sa volonté. Ce progrès se traduit par l’existence de la culture et de la civilisation et, de fait, un corps social et politique qui lui garantit un environnement relativement stable et protecteur. Or, cette situation, pour certains auteurs du 19e siècle, aboutit à un résultat paradoxal : la société telle qu’elle se présente est délétère pour l’espèce humaine. Les hommes subissent les effets pervers du progrès - qu’ils soient sociaux, médicaux ou technologiques - et l’espèce humaine est vouée à la dégénérescence. Une littérature abondante apparaît alors, consacrée aux thèmes de la dégénérescence et de la décadence, et offrant généralement des solutions pratiques pour guérir le corps social de ses maux et ainsi sauver l’espèce humaine. Appartiennent ainsi à ce nouveau genre de médecin ayant pour objet le corps social dans son ensemble, à la fois des réactionnaire comme Joseph de Maistre ou, après lui, des progressistes comme B.-A. Morel, psychiatre et clinicien, auteur du Traité des dégénérescence dans l’espèce humaine, ou encore Buchez, un autre clinicien. On trouve sous leur plume l’indication de thérapeutiques et de soins à administrer de toute urgence à l’ensemble de la société, car ces auteurs sont tous convaincus que l’on peut agir sur les causes de la dégénérescence de l’espèce. Ils proposent à cet effet des programmes d’éducation, de santé et d’hygiène publique, des mesures sociales, voire, pour certains, des politiques eugénistes. Autrement dit, ces auteurs se proposent de soigner l’homme, non en tant qu’individu, mais bien en tant qu’espèce vivant en communauté et cela au nom de l’hypothèse naturaliste consistant à penser que l’hérédité de l’individu est tributaire de son environnement social (théorie que l’on trouve notamment mis en œuvres dans les romans d’Emile Zola). Fort de cette idée générale de la dégénérescence et de ce postulat naturaliste, un auteur tel que Spencer prolonge et développe l’hypothèse selon laquelle la société doit être réformée afin de sauvegarder et d’améliorer la condition de l’espèce humaine. Il détourne la découverte de certains faits biologiques, comme le développement de l’embryon ou la sélection naturelle dans la théorie de l’évolution darwinienne, pour l’appliquer de façon illégitime aux domaines des sciences humaines. Ainsi justifie-t-il au nom des sciences naturelles ses recommandations sociopolitiques qui donneront naissance au darwinisme social et à la sociobiologie. La fin du 19e siècle et la première moitié du 20e siècle voient ainsi proliférer des discours sur l’amélioration de la race humaine au moyen de mesures inégalitaires et libérales visant à la sélection des « meilleurs ». Ces médecins du corps social ou de l’espèce vont de la sorte jusqu’à préconiser l’eugénisme, positif ou négatif. Or, cette littérature est loin de s’être tarie. Elle existe aujourd’hui encore et se réclame tout comme avant d’un réel souci pour le bien-être et l’amélioration de l’humanité, l’apparition des biotechnologies semblant donner, non seulement les moyens de soigner les hommes, mais encore de produire une humanité sélectionnée dans le cadre d’une sorte de médecine préventive appliquée au corps social. On étudiera donc l’impact dans la littérature d’idées des découvertes opérées par les sciences naturelles, et du darwinisme en particulier, à partir de la seconde partie du 19e siècle et l’on verra comment, au nom de l’évolution et du progrès, sont envisagés les soins et traitements à administrer à l’homme en tant qu’animal social.

Gaëlle Le Dref est doctorante en philosophie à l’Université Marc Bloch de Strasbourg sous la direction de Gérard Bensussan. Son sujet concerne l’influence de l’idéologie évolutionniste sur la conception de l’homme en se fondant sur l’hypothèse qu’elle est en fait une tentative de type philosophique pour donner sens à la fragilité et à la souffrance humaine. Outre les fondements métaphysiques et la genèse historique de cette idéologie, sa thèse se propose d’analyser la confrontation de l’évolutionnisme avec l’émergence des biotechnologies, qui mettent elles-mêmes en jeu une réflexion renouvelée sur l’homme et son rapport au monde, en particulier d’un point de vue éthique.