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Cluster 14 | E.R.S.T.U.

Enjeux et Représentations de la Science, de la Technologie et de leurs Usages.

Sciences, techniques, pouvoirs, fictions : discours et représentations, XIXème-XXIème siècles

Artaud, Panizza, et le Moi face à l’asile de fous : écriture contre la folie ou écriture folle ?

mars 2007
17h30 à 19h, salle C008 (près de la bibliothèque de l’UFR des Lettres et Arts, entrée par le C006)
contact : Lise Dumasy

ATTENTION : EN RAISON D’UN EMPÊCHEMENT MAJEUR, CETTE SEANCE INITIALEMENT PREVUE LE 17 JANVIER EST REPORTEE A UNE DATE ULTERIEURE

Dans le cadre de son programme de recherches "Sciences, techniques, pouvoirs, fictions : discours et représentations, XIXè me-XXème siècles", l’équipe Traverses 19-21 vous informe de la conférence de Mme Mélissa Fox-Muraton (Université de Clermont II)

Mme Mélissa Fox-Muraton
- (CRLMC, Clermont II)
- 27, rue Blaise Pascal
- 63000 Clermont-Ferrand
- Tél : 06.13.48.29.46
- Courriel : fox.melissa(à)voila.fr

« Pas de berger et un seul troupeau ! Tous voudront la même chose, tous seront égaux ; quiconque sera d’un sentiment différent entrera volontairement à l’asile des fous », proclame le Zarathoustra de Nietzsche. Dans cette métaphore de l’aliénation choisie, on peut voir que selon Nietzsche, le seul moyen d’échapper au « troupeau » moderne est de choisir volontairement sa propre anormalité. Cet impératif est d’autant plus frappant qu’il met en scène une nouvelle conception du délire qui est en train de se créer en cette fin de siècle : un délire conscient qui lutte contre la psychiatre et la médecine établis. Depuis la naissance de la psychiatrie et les débuts de l’ère clinique (selon la définition qu’en donne Michel Foucault), il existe un rapport privilégié entre délire et écriture, qui est sans doute la réponse à un effort de la part du langage médical et psychiatrique pour s’emparer du pouvoir narrateur de l’individu. Car si la clinique représente un progrès énorme pour la science, elle est en même temps responsable de l’exclusion de l’individualité et de l’objectification de l’homme, qui aux yeux de la médecine n’est pas un sujet, mais l’objet des procédés d’observation, de description et de classification. Foucault a donc certainement raison de dire que la clinique « cadavérise » l’individu, puisque cette nouvelle médecine n’est pas seulement une nouvelle pratique médicale, mais également un nouveau discours logocentrique, par lequel le médecin impose à l’individu les règles linguistiques selon lesquelles il peut parler du corps, de la maladie et de la douleur. C’est à partir de cette lutte pour l’autorité narrative qu’on voit apparaître dans la littérature aussi bien médicale que fictionnelle un antagonisme croissant entre le discours clinique et l’activité créatrice. Car si la médecine réifie l’individu, la littérature cherche à rétablir sa place en tant qu’agent, refusant le déterminisme d’un discours imposé de l’extérieur.

Au tournant du XIXe siècle, on peut constater une révolution dans la conception même de la psychiatrie dynamique, avec les travaux de Charcot, de Janet et de Freud, qui vont nous amener à une nouvelle compréhension de la psyché humaine. Toutefois faut-il noter que le discours psychiatrique ou psychanalytique cherche toujours à maintenir le contrôle du discours et du pouvoir narratif de l’individu. Si on peut voir une résistance de la part des écrivains contre ce contrôle à partir des débuts de l’ère clinique, c’est véritablement vers le tournant du XIXe siècle que les écrivains commencèrent (avec Nietzsche) à refuser cette détermination et à revendiquer une individualité qui passe par une identification avec la maladie et la folie. Oskar Panizza (psychiatre bavarois devenu écrivain, puis aliéné mental lui-même), nous le montre dans son œuvre qui mélange poésie et psychiatrie, et qui se veut à la fois créateur et thérapeutique. Panizza se définit comme un « Pazjent », mais dans cette dénomination médicale on peut voir à la fois une identification avec le discours clinique et son refus absolu, qui consiste en la déformation orthographique de ce substantif commun. Antonin Artaud, de façon plus radicale encore, va radicaliser la notion d’individualité dans ses écrits, et nous dire qu’il faut devenir des « aliénés authentiques ».

Panizza à la fin du XIXe siècle et Artaud au début du XXe siècle répondent donc tous deux à la crise d’individualité et d’identité provoquée par la psychiatrisation de notre compréhension du Moi par un rejet de la psychiatrie, en passant cependant par une identification profonde avec les modes de folie ou d’anormalité que la médecine psychique essayait justement de définir et de contrôler. On peut lire dans leurs textes un « phantasme » dela foliephantasme, puisqu’il ne s’agit pas uniquement d’une vérité clinique, mais surtout de s’auto-définir à travers une folie volontairement choisie, qui se manifeste non dans la psyché mais dans l’écriture. En analysant les rapports entre délire et écriture, et en examinant les différentes manières dont la nouvelle psychiatrie est appropriée ou interprétée par ces deux auteurs, par une approche comparative des différences qui séparent l’écriture plutôt classique de Panizza de celledéliranted’Artaud, nous souhaitons montrer comment le tournant du XIXe siècle marque un changement dans les rapports entre l’homme, sa folie et son écriture.