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Cluster 14 | E.R.S.T.U.

Enjeux et Représentations de la Science, de la Technologie et de leurs Usages.

Thème 1. Sciences, culture et communications sociales

Action 4 : Mouvements sociaux, contestation politique et argumentation scientifique

25 avril 2006
contact : Sophie Béroud

Porteurs du projet : Sophie Béroud, MC Lyon-2 ; Boris Gobille, MC ENS-LSH ; Camille Hamidi MC Lyon-2 / UMR 5206 TRIANGLE (ENS-LSH, Lyon-2, IEP de Lyon)

Tout un volet d’étude sur les mouvements sociaux s’est intéressé, au cours des années 1990, à l’intégration du recours au droit et du registre de l’expertise dans le répertoire d’action mobilisé par différents acteurs collectifs. D’un côté, le recours au droit s’est diffusé, y compris au sein de syndicats fortement contestataires de l’ordre politique et social, en raison d’un processus de juridicisation des relations sociales dans l’entreprise [1]. Des syndicats comme les SUD qui se veulent pourtant héritiers d’une culture anarcho-syndicaliste ont ainsi investi le créneau juridique lorsqu’ils ont été placés devant la nécessité d’obtenir la reconnaissance de leur représentativité par les tribunaux [2]. De l’autre côté, l’engagement d’un certain nombre de mouvements sociaux dans l’élaboration de contre-expertises a résulté à la fois de leur volonté de se démarquer d’une posture uniquement défensive et de l’importance accordée à la parole « savante » au sein de la scène médiatique. Afin de rendre audible leur opposition et de la doter des attributs permettant une reconnaissance par les médias - et non une catégorisation pré-établie les rejetant vers « l’archaïsme », la position de refus systématique ou le « corporatisme » - ces mouvements sociaux ont ainsi cherché à intégrer une dimension de diagnostic dans leur action contestataire. Ils se sont efforcés de démontrer leur maîtrise de compétences spécifiques les autorisant à émettre un jugement étayé sur le réel et à formuler des propositions de réformes ou de changements. Cette démarche les a également conduit à critiquer la dimension politique du savoir et les effets d’autorité produits par la détention de positions de prestige au sein du monde académique.

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Ce déplacement partiel de la lutte sociale et politique vers le terrain du savoir a pu se cristalliser, dans certains cas, sur des questions de nature scientifique. Le mouvement écologiste a été précurseur dans ce brouillage des frontières entre militantisme et prises de positions scientifiques : la façon de poser les problèmes relatifs aux implications de l’industrie nucléaire mais aussi de l’usage des gaz à effets de serre étant devenue constitutive de leur action pour la défense de l’environnement [3]. Or, ces incursions dans le domaine scientifique sont parfois contraintes - à l’image des syndicats forcés de définir leur propre interprétation de la notion de risques industriels et de risques professionnels après l’explosion de l’usine AZF à Toulouse - parfois délibérées. La Confédération paysanne revendique, par exemple, un discours critique sur la nocivité des OGM qui justifie son recours à l’action directe, à savoir les actions le fauchage des champs de maïs transgénique [4]. Autre exemple : l’association ATTAC, relayée par l’Association des professeurs de sciences économiques et sociales (APSES) s’est saisie de la question du contenu des manuels servant à l’enseignement de la discipline économique dans les lycées [5].

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Le fait de produire, depuis une sphère militante, un discours à vocation scientifique relève d’un processus complexe d’élaboration, d’appropriation d’instruments nouveaux et de repositionnement des enjeux. Les mouvements sociaux qui s’y risquent se voient amenés soit à rechercher face aux pouvoirs publics la coopération d’experts, soit à s’approprier de façon collective les connaissances nécessaires pour réussir à prendre part à tels débats [6]. Dans le premier cas, ce sont les conditions d’une coopération entre des chercheurs et des militants, la délimitation d’un terrain d’intervention commun et satisfaisant pour tous, qui méritent examen. Dans le second cas, ce sont plutôt les modes d’acquisition des compétences scientifiques par les militants et les répercussions de ce processus, en interne, qui donnent matière à réflexion. Plusieurs conséquences sont, en effet, susceptibles de découler de cet apprentissage singulier. D’une part, la capacité à produire un discours « savant » peut devenir une source d’autorité en interne, en rupture avec les modes plus traditionnels de constitution d’une légitimité militante (liés à l’engagement dans la lutte, à la disponibilité, etc.) et ouvrir la voie à une redistribution du pouvoir. D’autre part, le développement d’une argumentation rationnelle, à prétention scientifique, risque d’entraîner une réévaluation générale des revendications et une nouvelle hiérarchisation des objectifs. C’est l’ensemble du programme défendu par l’organisation qui se voit alors confronté à une exigence de cohérence. Enfin, cette conséquence étant liée à la précédente, l’ampleur prise par l’enjeu scientifique qui renvoie à une forme de discours et à une temporalité différentes de celles propres à l’engagement militant, peut à terme altérer la physionomie même de l’organisation.

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Au regard de ces questionnements la recherche portera sur trois terrains en Rhône-Alpes :

1 | La Confédération paysanne face aux OGM

La confédération paysanne bénéficie d’une implantation relativement bonne en Rhône-Alpes (32 % aux dernières élections aux chambres d’agriculture), particulièrement dans la Loire (40 %). Ces adhérents procèdent cependant de secteurs agricoles très diversifiés (élevage, céréales, filière viticole...). Comment les prises de position assumées au niveau national sur les OGM sont-elles acceptées et relayées en interne, par les militants de la région Rhône-Alpes ? Font-elles l’objet de controverses ? Participent-elles des motivations principales de l’engagement ou sont-elles vécues comme un enjeu extérieur au quotidien des luttes paysannes ?

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2 | La définition des risques industriels par les syndicats

A partir des sites Seveso existant en Rhône-Alpes, étude du positionnement des organisations syndicales (CGT, CFDT, FO, CFTC, CFE-CGC). Nous établirons un historique de ce positionnement afin de dater l’émergence des préoccupations sur les risques industriels et professionnels, liés aux sites Seveso. Nous nous intéresserons ensuite au contenu de ce discours, à la façon dont il a été élaboré, à ses sources d’inspiration. Enfin, nous nous demanderons là encore si la question des risques industriels a été intégrée aux revendications locales défendues par les syndicats d’entreprise.

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3 | Attac et le contenu des programmes des manuels de sciences économiques et sociales

Ce troisième terrain permettra d’explorer les liens que le conseil scientifique d’Attac entretient avec l’association des professeurs de sciences économique et sociale (APSES). Pour les membres de l’APSES en Rhône-Alpes, le positionnement d’Attac sur le contenu de l’enseignement en économie fait-il sens ? Constitue-t-il un point d’appui professionnel ? Quelle a été l’implication de ces derniers pour faire de la question de l’enseignement de l’économie un enjeu de lutte ?

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Les forces : Le noyau de l’équipe est formé des trois maîtres de conférence cités ci-dessus, récemment recrutés. Des étudiant/es en seconde année de master recherche et éventuellement en thèse participeront aux enquêtes.

Modalités : Enquêtes rétrospectives reconstituant l’histoire des trois controverses et leur importance dans le développement et la légitimation des mouvements concernés (enquêtes documentaires et entretiens).

On tiendra parallèlement un séminaire de recherche dans la perspective de fédérer des collaborations, y compris dans d’autres pays dans une perspective comparative.

Résultats : Ouvrage collectif et articles.

Notes

[1] Laurent Willemez, « Quand les syndicats se saisissent du droit. Invention et redéfinition d’un rôle », Sociétés contemporaines, n° 52, 2003, pp. 17-38.

[2] Jean-Michel Denis, « Les Syndicats de SUD-PTT : des entrepreneurs de morale ? », Sociologie du travail, n° 3, vol 45, 07 / 09 2003, pp. 307-325.

[3] Sylvie Ollitrault, « Les écologistes français, des experts en action », Revue française de science politique, vol. 51, n° 1-2, 2001, pp. 105-130.

[4] Jean-Philippe Martin, « Du Larzac à la Confédération paysanne de José Bové » in Eric Agrikoliansky, Olivier Fillieule, Nonna Mayer, dir, L’Altermondialisme en France, La longue histoire d’une nouvelle cause, Paris, Flammarion, 2005, pp. 133-134.

[5] Christian Laval, Régine Tassin, L’Economie est l’affaire de tous : quelle formation des citoyens, Attac-FSU, Paris, Syllepse, 2004.

[6] Lilian Mathieu, Comment lutter ? Sociologie et mouvements sociaux, Paris, Textuel, 2004, p. 146.