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Enjeux et Représentations de la Science, de la Technologie et de leurs Usages.

Communications des doctorants 2005, 2006, 2007

L’animal thérapeute : socio-anthropologie de l’émergence de l’animal dans les pratiques de soin

13 mars 2009
contact : Michalon.Jérôme

Jérôme Michalon (Modys/UMR 5264 CNRS/Université Lumière Lyon 2/Université Jean Monnet St Etienne) Direction : André Micoud (Directeur de recherche CNRS/Modys)

L’ambition de ce travail est de documenter la manière dont les sociétés occidentales actuelles produisent des nouveaux modes de relation avec les animaux. Il s’agit donc de voir comment, dans les discours, les représentations et les pratiques, les animaux sont investis de nouveaux rôles et de nouveaux enjeux. Ces changements sont perceptibles dans plusieurs univers, et à des échelles très différentes : qu’on pense aux parcs zoologiques qui tentent depuis quelques années de se donner de nouvelles missions, au milieu de la protection animale qui peine à se détacher de son image anti-humaniste, ou aux pratiques d’élevages d’animaux destinés à la consommation humaine tant questionnées par la crise de l’ESB. Sans parler du nombre toujours croissant de la possession d’animaux de compagnie, de la virulence des débats sur l’expérimentation animale ou sur la chasse… Pour illustrer cette problématique nous avons choisi d’étudier la rencontre de deux univers : celui de l’animal et celui des pratiques de soins. Pour être comprise, cette rencontre doit être reliée à des pratiques voisines qui mettaient déjà en lien des animaux et des humanités « altérées » : les chiens-guides pour les non-voyants, et les chiens d’assistance pour les personnes handicapées moteurs. L’introduction de l’animal dans certaines pratiques de soin (psychothérapeutiques, psychiatriques, rééducatives, gérontologiques, pédiatriques notamment) présente en effet plusieurs points de similitude avec ses voisines : elles proposent aux animaux des rôles inédits dans l’histoire des relations de service entre l’homme et l’animal ; elles ont également l’ambition d’être généralisées, standardisées (c’est entre autres ce qui leur donne un caractère inédit) ; elles se développent autour et avec des personnes convaincues de leur utilité ; elles contribuent à diffuser une image positive de l’animal et de sa présence (et sont, à ce titre, régulièrement médiatisées par les « amis des animaux »). En revanche, une des particularités des pratiques de soin incluant l’animal tient aux débats et aux controverses qu’elles suscitent, en interne, entre les acteurs qui en sont partie prenante. Ces débats portent sur la réalité, la nature et les mécanismes de ce que produit le contact animalier sur des populations « en souffrance. » Il s’agit, entre autres, de savoir si les bénéfices de ce contact sont « réels », « durables » et s’ils sont supérieurs aux risques qu’il peut représenter. Ces questions ne sont d’ailleurs jamais totalement déconnectées de celle de la compréhension des mécanismes par lesquels peuvent apparaître ces bénéfices. On comprend donc que le rapport au savoir scientifique est un enjeux important dans l’univers des pratiques de soin incluant l’animal. Un rapport ambiguë qui peut être observé soit sous l’angle d’un « besoin de science » -pour certains acteurs qui chargent la parole scientifique d’ouvrir la voie de la reconnaissance institutionnelle- soit sous l’angle d’une méfiance (voire d’une défiance) – pour d’autres acteurs plus attachés à une pratique (une technique) qu’à un savoir. Cette ambiguïté en recouvre une autre : celle qu’entretiennent ces deux catégories d’acteurs avec la question de la généralisation des savoirs et de la standardisation des pratiques (« sont elles possibles et/ou souhaitables ? »). C’est en pratiquant plusieurs phases de récolte et d’analyse de données que cette grille de lecture est apparue comme pertinente pour rendre compte de l’émergence et de la structuration du champ des pratiques de soin incluant l’animal. Trois temps, correspondant à trois types d’échelles géographiques, historiques et méthodologiques, ont organisé notre recherche. Le premier temps a été consacré à l’étude de la constitution d’un champ de savoir autour du lien animal/santé humaine – à travers une recherche bibliographique internationale. Le second temps a consisté à documenter l’émergence et l’organisation des réseaux de praticiens, de promoteurs et de chercheurs autour des pratiques de soin incluant l’animal en France (série d’entretiens). Le troisième temps fut consacré à l’observation ethnographique de la pratique en elle-même (en l’occurrence : équithérapie et médiation canine). Il est intéressant de noter que pour chacun de ces trois temps, la question des interfaces sciences/sociétés est extrêmement présente : elle transparaît bien évidemment dans les articles scientifiques (souvent sous la thématique de la pollution sociale de la science) ; elle s’invite en outre dans les réunions destinées à fédérer des associations de praticiens et standardiser ; elle se retrouve, enfin, dans les dispositifs thérapeutiques et dans les discours de ces derniers quand ils exercent. Ce qui nous fait dire que l’animal dans les pratiques de soin est un point de vue particulièrement important pour observer les interfaces sciences/sociétés, c’est que –comme nous l’avons dit plus haut- c’est une rencontre. Une rencontre qui, d’une part, dit beaucoup de la société dans laquelle elle se déroule, et qui, d’autre part, met en discussion (voire en confrontation) des conceptions épistémologiques très variées ; ce qui, par conséquent, donne à voir les relations de pouvoir qui existent entre les disciplines scientifiques et le poids social que l’on leur reconnaît.