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Cluster 14 | E.R.S.T.U.

Enjeux et Représentations de la Science, de la Technologie et de leurs Usages.

Communications des doctorants 2005, 2006, 2007

Le gouvernement des économistes ? L’institutionnalisation de l’économie politique comme science de gouvernement : Sociogenèses, pratiques et usages du Conseil d’Analyse Economique. (Titre provisoire)

13 mars 2009
contact : Clairat.Jérémy

Jérémy Clairat, Cluster 14 Doctorant Pacte, UMR CNRS n°5194

Directeur de thèse : Olivier Ihl

Etat d’avancement des travaux, Cluster 14, 3ème année de thèse (Février 2009)

Le Conseil d’analyse économique créé par Lionel Jospin en 1997 semble incarner l’institutionnalisation de la science économique comme « science de gouvernement » : les économistes universitaires sont intégrés dans le processus de prise de décision publique. Incarnation du mouvement de rationalisation de l’action publique, ce conseil est porté par un ensemble d’acteurs académiques, politiques et administratifs. La problématique de cette thèse est d’analyser le mouvement qui met la science économique au cœur des pratiques de gouvernement à travers l’étude de la constellation des élites qui le portent. En analysant la science économique comme une science de gouvernement, nous partageons pleinement la problématique générale du cluster qui entend étudier les rapports entres les sciences et la société, à la fois pour étudier ce que la science (ici économique) fait à la société, et, inversement, comment la société influe et fait usage de la science. Plus spécifiquement, nous nous inscrivons dans les problématiques développées par le projet 6 du Cluster 14 (« Politiques scientifiques et politiques publiques : enjeux des sciences sociales ») qui, avec un regard ancré dans l’analyse des politiques publiques et dans la sociologie des sciences de gouvernement, souhaite « interroger la façon dont les activités scientifiques sont intégrées aux dispositifs gouvernementaux », faisant le constat que « la conduite de l’action gouvernementale est de plus en plus souvent objet de revendications de scientificité, en même temps que la dimension politique de la science est toujours plus débattue, et parfois dénoncée » . Concrètement, notre thèse se compose de trois parties.

Le premier axe analyse la sociogenèse du CAE : quelle conjonction historique aboutit à la création du Conseil d’analyse économique ? Quelles alliances d’intérêts académiques, politiques et administratifs expliquent la naissance de l’institution ? Pour répondre à ces questions, il faut d’une part replacer le CAE à croisement de plusieurs histoires qui s’entremêlent (l’histoire des administrations d’expertise de l’Etat, l’histoire de la pensée économique, l’histoire des rapports entre socialisme et économie) et d’autre part revenir sur le contexte économique, politique et social de l’année 1997 où des luttes institutionnelles entre réseaux d’acteurs vont aboutir à la création du CAE. Un travail sur archives et par entretiens sera mobilisé. Le deuxième axe interroge le fonctionnement du CAE à travers ses membres (étude sociographique, prosopographique et d’analyse de réseaux) et leurs pratiques (travail sur entretiens) dans une optique de sociologie de la science. Nous nous interrogeons ici aussi bien sur le profil des économistes – quelles logiques de recrutement et de nomination ? quels parcours biographiques et/ou quelles écoles théoriques facilitent le passage du savoir vers l’agir ? – que sur leurs pratiques effectives - comment des économistes s’approprient les contraintes liés à l’expertise, à la recommandation politique ? C’est en analysant les points de frottement des champs politico-administratifs et académiques que l’on pourra comprendre la spécificité des pratiques mises en œuvre au sein du CAE, que ce soit à travers l’étude des conflits « politiques « qui trament le champ académique, (et la transformation de ces conflits au sein du CAE), qu’à travers les conflits qui trament le champ politique et qui conditionnent les formes d’exercice du travail scientifique (via les demandes administratives, via le choix des rapporteurs et des discutants, etc.). Enfin, Le troisième axe interroge l’influence du CAE sur la décision publique à travers l’étude de certains rapports aux destins contrastés (travail sur littérature grise et par entretiens) dans une optique de sociologie de l’action publique. Quels sont les usages politiques des rapports ? Quels facteurs favorisent la mise en œuvre des recommandations du scientifique ? Dans quelle mesure les savoirs portés par les membres du CAE deviennent constitutifs de la réalité de l’action publique, c’est-à-dire les paramètres d’une pratique bureaucratique ?

Dans la pratique, pour répondre à ces questions, nous avons avancé dans plusieurs directions théoriques ou empiriques. Pour présenter le travail effectué cette année, je vais donc distinguer le travail théorique de lecture et de documentation du travail plus empirique sur mon terrain d’études. Au niveau théorique, mes lectures ont été fournies et pluridisciplinaires. Elles se sont portés à la fois sur des ouvrages généraux classiques ou d’épistémologie (Passeron, Rosanvallon, Abbott, Feyerabend, Weber, Habermas, Foucault, les auteurs qui font référence au niveau de l’épistémologie de la science économique à savoir Mark Blaug et Claude Mouchot), sur des ouvrages de sociologues, en particulier les travaux relatifs aux « sciences studies » (Latour, Callon, Lascoumes, Barthe, Pestre, Vinck), relatifs au courant anglo-saxon que l’on nomme « sociology of economics » (Fourcade Gourinchas, Heilbroner, Milberg, Colander, Mirowski) ou relatifs à la sociologie de l’expertise (Roqueplo, Trepos, Jacob et Genard, Fischer, Collins et Evans). Plus généralement en science politique, j’ai parcouru des travaux français sur les rapports entre science et action publique (Payre, Bachir, Memmi, Dulong et Dubois, Lascoumes et Le Galès, Denord, Genieys) et des travaux anglo-saxons sur les « think tanks » (Stone, Abelson). Enfin, en science économique, j’ai parcouru des ouvrages de « régulationnistes » (Amable et Palombarini, Lordon, Boyer, Sapir), des ouvrages d’histoire de la pensée économique (Etner, Perrot), ou des ouvrages à la frontière de la science économique et de la recommandation politique écrits par des membres du CAE (Fitoussi, Betbèze, Daniel et Elie Cohen, Piketty, Rochefort, Plihon). J’ai en particulier mis à profit ces lectures pour essayer d’opérer une cartographie des langues théoriques sur l’expertise, en proposant une communication qui a été retenue pour le colloque international consacré à « l’expertise comme objet flou » qui s’est tenu à Rennes le 12 et 13 mai 2008 (le titre de ma communication était : « Comment regarder l’expertise ? Esquisse et limites d’une cartographie des formes de savoir sur l’expertise »). Au niveau empirique, j’avance dans deux directions principalement. La première est celle de la prosopographie « statistique » du CAE. Au niveau de la collecte des données, j’ai opéré un travail bibliométrique (comptage des bibliographies respectives des membres du CAE) et travail de documentation générale sur les membres du CAE (ouvrages, articles, appartenances institutionnelles, informations collectées à partir d’Internet, du Who’s Who, du logiciel Europresse). Quand ma base de données sera stabilisée (il reste encore des « trous » que je compte combler en contactant directement les économistes où mes données sont parcellaires), je pourrais entrer dans la phase du traitement statistique. Deux options s’ouvrent à moi, j’espère pouvoir les mener à terme ensemble. La première option est celle d’une analyse de correspondances multiples dont j’ai appris les rudiments lors d’une formation intensive à l’Ecole d’été de Lille début juillet 2008. Je compte d’ailleurs retourner à Lille en juillet 2009 pour la formation consacrée au « traitement quantitatif des données biographiques ». L’autre option statistique de traitement des données qu’il serait intéressant de mettre en œuvre est celui de l’analyse des réseaux (Stone, 1997). La deuxième direction dans laquelle j’avance au niveau empirique réside évidemment dans la passation d’entretiens semi directifs avec les membres du CAE ou des administrations adjacentes. Je compte bientôt une trentaine d’entretiens réalisés avec des membres du CAE ou des responsables politico-administratifs ayant joué un rôle dans ce mouvement. Le travail est toujours en cours et constitue ma principale priorité en ce moment. Même si idéalement j’aurais aimé rencontrer l’ensemble des soixante-neuf membres présents ou passés du CAE, sans compter les personnalités politico-administratives adjacentes, il n’est pas toujours aisé de trouver une place dans leur agenda souvent chargé. Je compte ainsi poursuivre cette recherche d’entretiens, en espérant en réaliser au minimum une cinquantaine, jusqu’en juin 2009, date qui clôturera la partie « collecte » des données de mon travail de thèse. Il sera alors temps de passer au traitement exhaustif de ces données via l’écriture en soi de la thèse.