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Cluster 14 | E.R.S.T.U.

Enjeux et Représentations de la Science, de la Technologie et de leurs Usages.

Séminaire transversal « Nouvelles frontières, nouveaux objets »

Penser les régimes de science en société. Production des savoirs, appropriation, régulation dans l’histoire et aujourd’hui

28 septembre 2006
contact : Dominique Pestre

Texte


Avertissement  : Ce texte est la transcription directe de diapositives projetées durant mon intervention au séminaire Nouvelles fontières, nouveaux objets - mais sans les commentaires oraux et les précisions ! Il a donc une forme assez ‘rustique’ et peu littéraire, et aucune note ni bibliographie ne l’accompagnent. La forme diapositive confère pourtant au texte une sorte d’avantage : puisque les idées sont nécessairement stylisées et sans nuances, les grandes lignes argumentatives apparaissent avec une particulière netteté - un avantage pour la discussion. Durant celle-ci, j’essaierai d’apporter les précisions qui apparaîtront nécessaires aux intervenants.

Accéder au mode diapositives et au débat

Mon diagnostic est que le monde qui émerge avec la seconde révolution industrielle et se prolonge jusqu’à la guerre froide (le siècle qui court des années 1860 aux années 1960), ainsi que les principes et valeurs sur lesquels il reposait, est révolu - et avec lui toute une conception des savoirs.

Mon hypothèse est que s’est mis en place, dans les trois dernières décennies, un nouveau régime de production, d’appropriation et de régulation des sciences en société, un régime en rupture profonde avec l’histoire du siècle et demi qui précède.

Mon premier objectif dans ce texte est de mettre en évidence ce changement historique, d’en comprendre les racines et les enjeux.

Partie 1 : La science moderne et les pouvoirs : quelques remarques générales

Malgré ce qu’énonce la philosophie spontanée des savants, il est difficile de faire comme si c’était dans l’univers clos des laboratoires que se passait l’essentiel de ce qui concerne la science.

Parce que savoirs et pouvoirs ont beaucoup en commun, et ce depuis des siècles, la question du rapport de la science moderne aux techniques, à l’économique et au politique ne peut être évacuée.

Dit autrement, l’univers des savoirs scientifiques et des techniques, et celui des pouvoirs économiques et politiques, sont très imbriqués — et ce depuis la Renaissance.

La « science moderne » qui se met en place entre 16e et 17e siècles a en effet permis (et dans certains cas délibérément visé) la conception d’outils conceptuels et matériels, d’instruments, de techniques et d’armes ; elle a contribué aux activités de production, à la maîtrise sur les choses et les hommes comme à la pensée et à la mise en œuvre des opérations techniques et militaires ; elle a été décisive dans la reproduction des élites et leur sélection

... et elle a offert des idéaux et des normes multiples au social.

Pour les 16e et 17e siècle, par exemple, les mathématiques mixtes - qui incluent l’astronomie et les sciences de la navigation, la fabrication et la publication de livres, de manuels ou de calculs, la géographie, la cartographie et les activités cadastrales, l’artillerie et l’art de la fortification et du siège, la conception, la construction et la vente d’instruments : astrolabes ou compas, mais aussi machines mécaniques pour la guerre, la vie industrieuse ou le théâtre - émergent en réponse aux changements sociaux et économiques, politiques et militaires de la Renaissance (expansion territoriale, navigation au grand large, guerre de conquête, développement d’intérêts marchands, etc.)

Ce domaine d’activités va à son tour contribuer à cette transformation qu’est la Renaissance - et au-delà au modelage de la modernité.

L’histoire naturelle du 18e siècle constitue un autre cas intéressant.

L’histoire naturelle est en effet liée, d’une part aux grandes idéologies sociales et aux volontés de réforme morale de l’Occident du 18e siècle, de l’autre aux programmes d’acclimatation des plantes, de progrès productif et de développement agricole

En fait, contrairement à ce qu’on imagine souvent, l’histoire naturelle n’est pas d’abord ‘science pure’ ; histoire naturelle et agronomie constituent au contraire les deux faces d’une même entreprise visant l’accroissement du savoir et des ressources, le progrès du commerce et la richesse des nations.

L’histoire naturelle pense ainsi offrir des solutions pratiques au problème agricole (pensez à Goethe) mais aussi des ‘solutions to the problem of the moral and physical degeneration of the nation’ (Spary). L’amélioration, la régénération et la liberté sont au fondement de la plupart des actes de la Révolution, mais ils étaient aussi des termes ‘implying a natural and physical process of transformation in living bodies’.

Partie 2 : Science : De l’émergence d’une nouvelle économie politique et morale dans les dernières décennies

Je cesserai là ces évocations sur les périodes passées et vais maintenant étudier les dernières décennies et présenter ce que je tiens pour être une changement majeur de régime des savoirs en société.

La première grande transformation des dernières décennies, bien connue, est liée aux régulations productives, économiques et politiques qui sont maintenant les nôtres à l’échelle de la planète.

Le phénomène est complexe et je me limiterai à l’évocation de quatre aspects.

1. Le pouvoir économique est globalement passé, dans la vie économique, des managers aux actionnaires.

Cette transformation a conduit à une autre relation au temps (du long terme de la prévision managériale au très court terme du marché des actions), au changement des métiers de la banque, à la montée en puissance du ‘capital financier’ — à faire, finalement, d’une certaine forme de prédation la règle, un moyen d’action assez courant (pensez aux pratiques de nombreux fonds d’investissement rachetant des entreprises pour ‘vivre sur la bête’ avant revente).

Dans ce processus, la recherche industrielle a perdu sa place centrale (elle n’est plus au cœur du travail industriel et ne peut plus en être la force première) et la science une part de son statut de savoir public.

2. La seconde figure devenue centrale à côté de l’actionnaire dans le monde d’aujourd’hui est le consommateur, le client.

Ce n’est plus l’offre mais la demande qui règle dorénavant le jeu, ce n’est plus la production (le couple manager qui planifie / produit offert par l’entreprise) qui commande, mais le couple actionnaire qui pense une rentabilité financière immédiate / client volatile dont les besoins / désirs sont à anticiper / construire.

Cela a conduit à un changement profond des formes d’innovation — c’est la conception de produit, et donc la structure permettant d’anticiper la demande ou de la faire advenir, qui sont passées au centre de l’organisation productive qui réussit — et non plus la recherche ou la R&D ; la technophilie, comme la rotation des produits, s’en est trouvée accrue.

3. Une troisième manière de parler du changement est de regarder la variété des modes de régulation dans notre société-monde.

Nous sommes par exemple passés d’un univers régulé d’abord par des Etats élus et en mesure de définir des politiques (scientifiques, techniques, économiques, de redistribution, etc.) à des systèmes régulés par des instances nombreuses et sans rapport direct à l’élection — à savoir, à côté de quelques Etats du Nord, des instances internationales comme la Banque Mondiale ou l’OMC, des entreprises comme Microsoft, une pléiade d’ONG, des medias, etc.

Comprendre ‘la gouvernance’ mondiale actuelle, identifier d’où ces structures tirent leur légitimité et les régimes discursifs sur lesquels elle se fonde, est d’une grande importance — comme de comprendre l’articulation de ces pouvoirs entre eux.

Cela est vital pour la dynamique nouvelle des sciences dont les sponsors sont maintenant largement distribués.

4. Finalement, l’ensemble est en transformation permanente, sans point de repère stabilisé.

Il n’est plus de position sûre dans le monde actuel, que ce soit pour les entreprises, les pays ou les champs de science les mieux établis et les plus prospères — ou pour les nouveaux venus (Chine, Inde, ...) ; les différentiels de croissance sont considérables de région à région et, à l’intérieur de chaque société, entre les divers groupes sociaux, tandis que la dynamique des techno-sciences suit des chemins de plus en plus exogènes.

Ce passage à un régime qu’on pourrait qualifier de « libéral à dominante financière » d’une part, de régime de concurrence et de prédation tous azimuts de l’autre, s’accompagne bien sûr d’une transformation des manières de produire les savoirs, de les réguler, de se les approprier. Précisons cette idée en six points.

1. D’abord, les intérêts présents dans le champ de la recherche se sont démultipliés en deux décennies. Ils ont conduit à une prolifération d’institutions nouvelles dont les rapports se sont réordonnés.

Le capital-risque, les fonds de pension, le Nasdaq, les start-ups, les avocats d’affaire sont ainsi devenus décisifs dans l’orientation de la recherche, dans les formes qu’elle prend, dans ce qui est étudié et oublié.

2. L’université et la recherche publique en revanche (et les valeurs qui l’ont historiquement constituée) ont perdu leur place de référent. L’identité universitaire a été bousculée (c’est massif aux Etats-Unis) et les pratiques inter-disciplinaires et inter-métiers ont gagné du terrain — ce que l’université, par définition enseignante, a du mal à intégrer.

La question est ici celle du rapport entre science publique et science privée ; de la science (et du savoir) comme bien public ou comme bien privé.

La question est ancienne, les deux formes ont toujours co-existé plus ou moins explicitement et formellement depuis trois siècles, et des contestations ont toujours existées. Aujourd’hui, le renouveau assez fort de la contestation s’explique par quatre grands types de raisons :
- 1. l’équilibre a changé entre science publique et officielle (majoritairement universitaire) et droits d’appropriation privé (via le brevet et la propriété intellectuelle) au profit de la seconde ;
- 2. dans certains champs (logiciels par exemple), des formes collaboratives nouvelles ont émergé — mais elles sont directement attaquées et menacées par les formes propriétaires (voir le débat européen) ;
- 3. de scandales sont apparus dans les régulations des produits techno-scientifiques, par exemple dans le contrôle des médicaments - ce qui a suscité des attaques frontales contre les risques de la privatisation ;
- 4. l’offre de produits et de technologies nouvelles : de wikipedia d’un côté (un mode non-hiérarchique de validation des savoirs) aux échanges P2P, aux DRM, etc.

3. Pour sa part, la recherche industrielle s’est émancipée du cadre territorial qui demeure, par définition, celui des universités et des populations.

La localisation de la recherche des grandes compagnies est maintenant définie à l’échelle du monde, au gré des potentialités - échappant ainsi aux Etats et pays

4. La nature du travail d’innovation a changé dans les entreprises, comme son organisation.

Dans le régime précédent, on a inventé le laboratoire de recherche en milieu industriel (exemple des Bell Labs) et les laboratoires nationaux (de standardisation / normalisation) Depuis, le laboratoire industriel a été marginalisé. La conception de produits rapidement ‘marketisables’ — et non plus la R&D — est devenu la pierre angulaire du travail d’innovation dans l’entreprise, et la recherche n’est plus qu’un paramètre - externalisable. Le travail de recherche est passé dans des réseaux dédiés à cette question et qui vendent leurs services

5. Le jeu est devenu d’emblée planétaire et les lieux pertinents de la décision stratégique se multiplient.

Ces lieux se déploient des régions aux échelons nationaux, européen ou mondial, et la question de l’attractivité (pour les investissements et la localisation des laboratoires) devient une question primordiale. A vrai dire, elle définit l’horizon des universités qui souhaitent rester parmi les meilleures (considérer le classement de Shangaï comme symptôme).

6 Au cœur de cette économie politique d’un nouveau type se trouve enfin un changement structurant, celui des règles de la propriété intellectuelle et du brevetable.

Aujourd’hui, le brevet est devenu l’arme stratégique par excellence. La définition et les règles d’octroi des brevets ont été profondément modifiées dans les années 1980 et 90 aux Etats-Unis, pour des raisons nationales - ce qui a conduit à des formes de privatisation et de parcellisation, de monopole et de judiciarisation des savoirs qui nous ont fait entrer dans une économie politique de la connaissance et de l’innovation radicalement neuve.

Des droits de propriété sont maintenant accordés sur des savoirs de plus en plus ’fondamentaux’, les contraintes d’utilité justifiant traditionnellement du dépôt d’un brevet ont été rendues très lâches - ce qui explique qu’on puisse aujourd’hui breveter, de fait, un gène, une méthode commerciale ou un ‘clic’ de souris d’ordinateur.

La transcription de ces pratiques dans le droit européen s’est fait sans débat - ce qui a conduit, à mon sens, à un affaiblissement de l’Europe. C’est ce que nous allons maintenant regarder.

Partie 3 : De l’importance cruciale de la politique nouvelle des brevets

Depuis la seconde révolution industrielle, le brevet a joué un rôle essentiel dans le déploiement des savoirs, des techno-sciences et dans les réussites économiques - et il a toujours été un moyen, pour les Etats, de se protéger, de constituer ou d’interdire des situations de monopole.

Bien évidemment, il serait naïf de croire que ces fonctions ont disparu. L’élément décisif est ici bien sûr de savoir où l’on souhaite placer le curseur qui sépare la science ouverte de la connaissance comme bien privé.

La raison première du changement récent de définition du brevetable est le fait de la jurisprudence américaine en matière de biotechnologies et de génie logiciel. Il convenait certainement, au début des années 1980, de s’adapter à des pratiques de science nouvelles s’insérant mal dans les définitions courantes des droits de propriété - c’était le cas des manipulations sur le vivant.

Il s’est toutefois aussi agi de proposer une autre manière de répartir les bénéfices provenant des droits de propriété intellectuelle en plaçant les sciences au cœur d’une nouvelle logique économique, il s’est agi d’une volonté politique d’user de l’arme du brevet pour restaurer, de la part des Etats-Unis, une suprématie économique vécue comme menacée par le Japon.

Les Etats-Unis étant alors très en avance dans la recherche de base sur les biotechnologies et les sciences et techniques de l’information et de la communication (STIC), une remontée en amont du droit des brevets revenait à réserver des droits aux start-ups du pays, à enclore des territoires entiers de recherche dont les bénéfices étaient réservés pour le futur.

La société Myriad Genetic s’est ainsi vu accorder des brevets sur les gènes de prédisposition du cancer du sein qui l’autorisent à interdire aux chercheurs des pays où ses brevets sont reconnus (c’était le cas en Europe de 2002 à mai 2004) de développer des tests de dépistage alternatifs aux siens. C’est pour cette raison que l’Institut Curie et d’autres institutions européennes ont fait appel de l’octroi de ces brevets par l’Office Européen, et qu’ils ont obtenu gain de cause en mai 2004 - ce qui constitue une décision majeure.

Si d’autres exemples de cette formidable extension du droit des brevets étaient nécessaires, on pourrait mentionner la firme Agracetus qui a obtenu en 1992 un brevet pour le développement de cotons transgéniques qui implique que toute entreprise qui veut travailler sur l’amélioration des variétés de coton avec transfert(s) de gène(s) doit demander l’autorisation à Agracetus ; ou le brevet sur les cellules souches accordé à l’université de Wisconsin, qui conduit aux mêmes privilèges.

On peut donc parler, à juste titre, d’un nouveau phénomène d’enclosure des savoirs que rien n’oblige à suivre.

Concernant ce changement historique du droit de la propriété intellectuelle, trois propositions me semblent pouvoir être faites

1. Revenir, en Europe, au régime antérieur de brevet

Ce régime d’appropriation est maintenant décrit par beaucoup de ses praticiens, aux Etats-Unis mêmes, comme présentant des inconvénients majeurs. La prise de brevets systématique sur les connaissances de base parcellise le savoir disponible et rend plus longue la mobilisation des ressources. Le trop grand nombre de brevets limite le nombre de contributeurs potentiels car les risques sont grands de voir son travail bloqué par un concurrent (disposant d’un brevet) et dans la mesure où les coûts peuvent s’avérer élevés (il faut avoir des avocats pour négocier et payer des droits). Cette situation explique le sentiment de plusieurs gestionnaires d’universités américaines qui considèrent que le système est actuellement trop lourd et complexe. C’est aussi ce qui motive les accords passés entre firmes d’un même secteur et qui visent à re-collectiviser des porte-feuilles de brevets afin de réduire la complexité des négociations. Ce faisant, des monoples sont institués, monopoles peu poursuivis par les législateurs américains.

Ce régime n’est donc peut-être pas ‘le meilleur’ pour l’innovation. La question se pose alors de savoir pourquoi la Commission Européenne est si constante dans sa volonté de transcrire purement et simplement ce ‘modèle’ américain dans le droit européen. Le fond de l’affaire est peut-être tout simplement la croyance que ce sont ces règles de la propriété intellectuelle qui sont causes du dynamisme américain - ce qui est hautement contestable.

On pourrait réfléchir à d’autres options, plus justes, plus proche de l’éthique historique des sciences, plus efficaces économiquement, et qui pourraient aider l’Europe dans la compétition internationale. On pourrait par exemple réfléchir à la création d’un espace européen de la propriété intellectuelle dans la lignée de la décision récente contre Myriad, un espace où les règles du brevet redeviendraient plus restrictives et qui laisseraient plus de place à la science ouverte.

Dans cet espace, pour continuer sur le même exemple, plusieurs tests de dépistage du cancer du sein verraient le jour ; cette multiplicité conduirait à une probable augmentation de la qualité moyenne de ces produits et à une baisse de leur prix moyen. Un tel système serait créatif, techniquement innovant, économiquement plus efficace — et il est probable que, sous la pression des ‘consommateurs’, le droit américain ait, en retour, à s’adapter à cette situation.

2. Donner leur place aux régimes de production non-propriétaire, leur donner la possibilité d’exister

Les STIC offrent un autre exemple intéressant dans la mesure où la prise de brevets y est aussi massive (de l’ordre de 100 000 aux Etats-Unis et 30 000 en Europe). Etant donné ce qu’est un logiciel (une suite parfois très longue de lignes de codes), il est difficile de savoir exactement ce qui est breveté et ce qui ne l’est pas. Par méconnaissance, on est donc souvent sous la menace d’un brevet existant. Si on en a les moyens financiers, l’affaire se règle par négociation préalable entre avocats (ou au tribunal), mais la conséquence en est, disent tous les experts, que les petites entreprises innovantes ont toutes raisons de perdre : il leur est en effet très difficile de faire valoir leurs droits puisque la justice est lente et chère.

On est ici dans le cas limite où le brevet est l’arme de régulation ultime des savoirs via la menace de poursuite et le chantage.

Le cas des STIC est intéressant pour une autre raison : il existe là un mode alternatif au modèle propriétaire de type Microsoft, un mode économiquement et techniquement efficace, celui des logiciels libres et des codes sources ouverts. Lancée par Stallman en 1985, ce système de production de savoirs brevetés mais réappropriables a fait ses preuves ; il s’est diversifié (avec une variante permettant des gains financiers) et a commencé à concurrencer directement les logiciels à codes sources fermés. Cela lui vaut donc d’être devenu une cible de Microsoft qui ne vise pas moins que son élimination.

Ici la question est : ne faut-il pas défendre cette forme de vie sociale (pas si éloignée de la science ouverte classique), cette manière de produire de la connaissance que le durcissement des droits de propriété cherche à éliminer ? Je crois que la réponse doit être positive parce qu’il est bon que les sociétés démocratiques reconnaissent le droit à l’existence de ‘cités de justice’ multiples, qu’il est vital, pour les démocraties, qu’existent des systèmes parallèles de création intellectuelle, de production et de circulation des biens.

3. Réfléchir à la variété des formes de propriété aujourd’hui

Par extension, j’aimerais finalement évoquer les problèmes induits par la privatisation de régulations — je pense par exemple aux conflits d’intérêts à l’œuvre autour de l’évaluation des médicaments. Il est aujourd’hui banal que les compagnies contrôlent directement l’évaluation de leurs produits et utilisent pour ce faire des compagnies sœurs. Le résultat de ce contrôle plus étroit pourrait bien être que ’the integrity of the clinical research enterprise is compromised’. Daedalus rapporte en particulier le fait que, après avoir essayé d’arrêter la publication d’un rapport, ’a company demanded 7 to 10 million dollars in damages [from the group which had organized the clinical trial] on the grounds that publication had hurt the company’s financial prospects’.

Si on ajoute qu’il est devenu courant de ne plus communiquer les molécules nouvelles aux universitaires sans engagement de leur part à ne rien publier qui puisse être dommageable pour la compagnie, on peut penser que ce mouvement de rétrécissement des possibilités de travail de la science ouverte mérite une analyse approfondie.

Du point de vue judiciaire plusieurs plaintes sont en cours d’instruction sur le comportement de compagnies pharmaceutiques ayant caché des résultats cliniques négatifs. En Europe, en matière agricole, le droit des brevets sur les OGM n’a pas éliminé les droits d’obtention végétale - qui sont des droits de propriété plus complexes : pas simplement binaires, ils sont marqués d’exceptions comme le droits du sélectionneur ou le privilège du fermier.

A l’échelle internationale, les droits de propriété sur les ressources végétales et les savoirs thérapeutiques des peuples autochtones sont aussi en passe d’être reconnus ; à la fois par l’action de juristes et par des actions de justice contre le brevetage de savoirs découlant directement de l’étude de la pharmacopée des peuples indigènes.

Finalement, un nouveau type de copyright se diffuse actuellement. Intitulé Creative Commons , il permet de se réserver la paternité d’un travail tout en le rendant public et non-appropriable. Je cesserai ici mes exemples et conclurai sur la fait que ces questions sont essentielles aujourd’hui, que nous pensions en termes de valeurs et de philosophie politique (comment définissons-nous ‘une bonne société’), ou en termes de politiques publiques (et des cadres socio-juridiques dans lesquels nous préférons agir).

Partie 4 - Du changement profond du social

Les éléments du régime de production et de régulation des techno-sciences que j’ai considérés jusqu’à présent sont d’ordre politique, économique et juridique.

J’aimerais maintenant insister sur un autre élément, la transformation tout aussi profonde du corps social dans ses exigences et modes d’être. Je l’ai évoquée à propos du logiciel libre, réseau de millions d’acteurs inventant une nouvelle forme de vie, mais ce changement est beaucoup plus large.

Quelles sont ces transformations et en quoi conduisent-elles à devoir repenser nos manières de gérer la recherche et l’innovation ?

Il faut d’abord noter qu’il s’agit de changements larges et d’ampleur. On peut les repérer dans la ‘composition’ des sociétés (du fait de la dés-industrialisation massive au Nord, de la montée des groupes à fort capital scolaire, de l’explosion des couches moyennes en Inde ou en Chine) - dans le fait que nos sociétés ne sont plus simplement des ‘sociétés de classes’ au sens où elles l’étaient il y a cinquante ans.

Les formes classiques d’autorité sont contestées, des micro-sociétés défendant des arts de vivre propres se multiplient (‘raveurs’, ‘hackers’) et la forme même du politique tel qu’il s’est constitué au fil des siècles autour de la question démocratique d’une part, des formes du gouvernement représentatif de l’autre, est en cours de transformation rapide.

Les changements sont aussi significatifs dans la transformation des ‘subjectivités’ : changements dans les régimes du travail et la constitution des identités sociales, dans les régimes d’existence psychique, dans les mœurs et les modes de vie, dans le rapport à l’environnement, au corps et à l’autorité ; poids nouveau des ONG et autres associations dans la vie publique, dans la vigilance et les négociations internationales de tous types (autour de l’environnement, de la santé) ; (ré)émergence de notions comme celle de société civile, de gouvernance, de développement durable, de précaution

1. Plus systématiquement, on pourrait dire qu’on a un triple phénomène.

- D’une part, nos sociétés sont devenues plus ‘plates’, le social est divers dans ses subjectivités, les personnes se définissent sur des échelles multiples - et on est sorti de l’évidence d’une hiérarchie simple des questions (le genre, les relations ‘ethniques’ ou l’appartenance à des ‘communautés’ ont pris souvent le pas sur ce que le 19e et le 20e siècle ont appelé ‘la question sociale’) ; on a aussi affaire à une individualisation plus forte des itinéraires personnels, à une variété des formes d’accomplissement de soi et des manières de se mettre en scène (pensez aux media) ; on a aussi affaire à une ouverture des possibles corporels : le ‘cyborg’ comme avenir - notamment à la suite de l’apparition de nouvelles (techno-)sciences ayant montré une capacité d’agir nouvelle : les STIC, les bio-sciences et bientôt les nanotechnologies
- Ces évolutions vers des sociétés ‘plates’ sont toutefois accompagnées d’un accroissement formidable des inégalités, d’une nouvelle rudesse des relations sociales — et aussi d’une fermeture des possibles pour les plus pauvres. Cette rudesse renvoie à l’hégémonie prise par les régulations marchandes, au succès du nouveau libéralisme économique (post Hayek), au retour du contractuel dans tous les domaines, à la réduction du rôle de l’Etat et au démantèlement des ‘conquêtes sociales’, à la transformation des régulations internationales, etc.

- Le troisième aspect concerne les formes de bio-politique, ‘l’administration soigneuse des corps et la gestion calculatrice de la vie’ (Foucault) — chose dans laquelle les savoirs et les objets techno-scientifiques sont décisifs. Trois points :
— Depuis les années 1980, une nouvelle forme de gouvernementalité a émergé ; elle combine des appels universels au gouvernement de soi et à la responsabilité des individus (chacun doit être maître de sa vie) à des régimes accrus de rationalisation et de ‘scanning’ des populations. Ces pratiques vont de la gestion détaillée des médecins à celle des patients, des migrants comme des voyageurs - en passant par des classements nouveaux des maladies.
— La victoire des néo-conservateurs aux Etats-Unis en 2000/2001 a conduit à un retour du discours schmittien de l’état de guerre et d’exception comme norme, à la généralisation du discours sécuritaire à l’échelle planétaire. Ce phénomène peut conduire à évoquer trois périodes (1970 à 1989, 1990 à 2000, 2000 à aujourd’hui) pour dire la mise en place du régime (complexe et différencié) qui est maintenant le nôtre ;
— Cela ouvre, en philosophie politique, sur le débat Agamben / Habermas quant à l’héritage foucaldien et à la question de l’équilibre entre bio-pouvoirs et rationalité démocratique et communicationnelle

2. Trois lectures de l’évolution du monde, et de la place des techno-sciences dans cette évolution, sont donc possibles.

- L’une est positive. On parlera alors d’aboutissement du projet démocratique (dans sa dimension de liberté individuelle étendue - y compris du fait des techno-sciences - condition de toute démocratie), d’une croissance de l’autonomie des acteurs, de modernités multiples, de foisonnement et de métissage, d’une plus grande possibilité pour chacun de définir ses identités individuelles et collectives (on lira alors Eisenstaedt, Gauchet, Honneth,...)
- On peut parler moins lyriquement d’un clivage riche / pauvre accru, du retour à des formes de travail dignes du 19e siècle, de la dislocation des structures de référence sociales, de la fatigue des cadres comme de la souffrance nouvelle au travail, de nouvelles formes de maladie psychique - de la ‘déprime’ remplaçant la névrose par exemple comme symptôme de l’émancipation et de l’autonomie nouvelle (Castel, Sennett, Ehrenberg, Dejours, François Dupuy, ...)

  • On peut enfin parler d’un Janus à deux faces promouvant l’accomplissement de soi mais encadrant les vies de façon toujours plus invasives (au nom du risque en médecine par exemple) - d’une nouvelle phase du bio-politique

3. La nature de la sphère publique, comme la définition du politique ont changé en conséquence

- D’une part, la sphère du politique s’est ‘privatisée’. En deux sens opposé : des questions autrefois définies comme privées sont devenues capitales dans la sphère publique (la question du genre, de la reproduction, de la fabrication des corps), tandis que des questions relevant autrefois de la sphère publique et du politique relèvent maintenant (cela est variable de pays à pays mais la tendance est nette) de ‘choix individuels’ (l’école, la sécurité sociale)
- Les questions légitimes dont doit s’occuper le politique se sont modifiées en conséquence : la question de la redistribution et de l’égalité a perdu sa centralité ; elle est remplacée par une multiplicité de questions cherchant chacune à occuper la place centrale ; dans ce processus, l’accès aux media et la capacité à pouvoir mobiliser des ressources de tous types (de l’expertise, un carnet d’adresses, des moyens, etc.) est capital.

- Les modes d’intervention dans la sphère publique se sont modifiés. On est passé de la forme dominante qu’était la ‘revendication’ (pensez aux syndicats ouvriers) et l’ ‘appel à l’Etat’ interpellé comme neutre et garant de la justice sociale - à des formes d’action multiples et intégrées (pensez cette fois à Greenpeace), conçues à diverses échelles (du très local au mondial), définies pour agir sur divers pouvoirs (Etats, organismes internationaux, media), par toutes sortes de moyens (demandes, actions directes, appels au boycott) — et qui repose notamment sur la contre-expertise et le do-it-yourself. Cela a transformé radicalement le rapport du social à l’expertise officielle (la CRIRAD des années 1980 / 90 en matière nucléaire, qui fait et publie ses propres mesures de radioactivité, versus le mouvement des scientifiques contre le nucléaire des années 1970 / 80, qui s’adressait à l’Etat)
- Finalement, la gouvernance (et ses catégories adjointes : responsabilité, transparence, contradictoire, ‘accountability’, publicité, etc.) est devenue la catégorie première pour penser l’action juste. Ce changement est lié à la redéfinition des théories de la justice, notamment depuis Rawls. Ce nouvel ordre discursif mérite une étude approfondie (voir partie 5).

4. Les conséquences en sont, quant aux attitudes vis-à-vis des sciences, un changement des certitudes sociales qu’il serait irresponsable d’ignorer.

- La croyance en un progrès technique et scientifique bénéfique en soi et toujours contrôlable s’est érodée. La confiance dans les institutions qui encadrent la science fait souvent défaut aujourd’hui et les décisions d’experts travaillant en vase clos sont contestées.

Ces évolutions sont dues aux changements en profondeur du corps social évoqués dans la section précédente, mais elles ont été accélérées du fait des crises sanitaires et environnementales, du fait de la moindre lisibilité de la gouvernance (chevauchement et multiplication des responsabilités, ...), etc.

- De nouvelles formes d’appropriation des savoirs sont aussi apparues - ONG environnementales ; associations de malades (certaines obtenant un rôle actif dans la définition des choix de recherche et la conduite des essais cliniques - depuis l’épidémie de sida) ; création de laboratoires associatifs comme la CRIRAD qui, défiante devant les déclarations du complexe nucléaire français publiées au moment de Tchernobyl, entreprend elle-même des campagnes de mesures ; plaintes systématiquement portées devant les tribunaux ; tenue de ‘conférences de citoyens’ considérant en détail une question (que faire avec les OGM ? par exemple) et proposant ses conclusions au politique.
- Le web, finalement, change les règles ; il devient un lieu d’échanges de données et d’informations qui marginalise les canaux habituels de transmission des savoirs, mais aussi les formes habituelles de culture et d’éducation. La grande différence est qu’il est non régulé, non-hiérarchisé - et induit donc d’autres relations et pratiques entre intervenants et producteurs de savoir

Dans les milieux savants (y compris dans les sciences sociales), une tendance est à ne pas vraiment considérer ces nouvelles réalités sociales, à les tenir comme marginales, ou comme l’expression d’un irrationalisme à combattre — en bref comme une maladie du social qu’il convient de soigner par l’école, la promotion de la ‘culture scientifique et technique’ et la ‘diffusion des (vraies) connaissances’

Cette réduction est un non-sens, une façon de ne pas prendre en compte des réalités sociales massives impliquant des populations larges et parmi les plus créatives et éduquées - et qui ne peut que s’amplifier

L’idée qu’il s’agirait d’obscurantistes est démentie par toutes les études : ce ne sont d’ailleurs pas les sciences qui sont d’abord visées (le chercheur du CNRS reste la figure la plus connotée positivement aujourd’hui), mais les régulations (des produits techno-scientifiques, des risques, des crises, de l’environnement), les attitudes systématiquement technophiles (et qui veulent que tout ce que la science peut faire doit advenir), les valeurs que portent, et les effets sociaux et économiques qu’induisent ces changements (les OGM transforment les rapports entre paysans et compagnies), ...

Il est donc trop simple, voire faux, de parler d’une défiance aujourd’hui généralisée vis-à-vis des sciences - et encore moins de l’émergence d’un nouvel irrationalisme. En fait les succès de la techno-science industrielle (car c’est bien de son efficacité dont il s’agit, et non de ‘la science’) produisent deux réactions opposées et simultanées - et c’est cette complexité qu’il convient de saisir :
- D’une part, des demandes de précaution quant aux effets, toujours plus complexes qu’on ne croit, que produisent les techno-sciences ; ceci se produit lorsque des biens collectifs sont visés : santé publique (affaire du Vioxx), questions d’environnement (gestion des déchets nucléaires), menaces sur la propriété (OGM et propriété des semences), convictions religieuses et éthiques (clonage, cellules souches), ...
- De l’autre, une confiance dans la technique, une demande de toujours plus de science lorsque l’individu pense qu’il peut profiter du progrès, lorsque la santé personnelle est en jeu (exemple des thérapies contre le SIDA) ou lorsque l’offre permet à un individu d’étendre ses capacités, de ‘s’augmenter’ corporellement. Penser ici, par exemple, au contraste entre les demandes (technophiles ?) de thérapie génique et le refus (technophobe ?) des OGM.

Mon sentiment est qu’il s’agit là est un phénomène dont on ne doit pas faire l’économie car il est une source de progrès futurs. Les questions posées sont légitimes - sur la nature du progrès et de l’expertise par exemple ; il nous faut prendre acte que toute institution humaine est faillible, la contre-expertise comme l’expertise scientifique officielle ; et que la solution est donc dans la confrontation organisée des arguments et des preuves entre tous les experts.

Dans les ‘sociétés de la connaissance’, la dynamique de l’innovation doit être une dynamique sociétale, la résultante d’interactions entre des acteurs aux projets et outils différents — car les savoirs sont de plus en plus distribués. Elle est moins que jamais un phénomène top-down. Nous devons donc nous appuyer sur ces nouvelles potentialités sociales et faire de la variété des démarches et de leur confrontation un levier d’innovation et de mobilisation sociale. Cela implique de bien reformuler les pratiques de l’expertise

Ceci est la condition de développement de nos sociétés démocratiques et techno-scientifiques — ne serait-ce que parce que l’ouverture aux pratiques de participation active des citoyens à la production des savoirs et à la décision sont la condition de la cohésion sociale et d’une innovation plus complète

Partie 5 - Les mots et les choses . A propos de l’ordre discursif du monde (quelques remarques brèves sur un programme à envisager)

Comme tout univers social, le monde globalisé qui est le nôtre aujourd’hui repose sur un ensemble spécifique de catégories et de notions, de normes et de valeurs à travers lesquelles il pense sa légitimité, construit ses savoirs et ‘performe’ le monde.

Comprendre un univers social requiert donc de saisir cet ordre discursif et ses cohérence ; d’en tracer les généalogies — indissociablement intellectuelles, sociales et politiques ; de comprendre pourquoi, où, et grâce à qui il s’impose comme évidence et invalide les système conceptuels et normatifs antérieurs.

Parmi les notions et normes les plus prégnantes aujourd’hui, mentionnons : gouvernance, responsabilité, équité, transparence, participation ; mais aussi société civile, éthique, identité, reconnaissance — et dans le champ lié aux sciences : société du risque, sociétés de la connaissance, développement durable, précaution , biodiversity assessment , savoirs indigènes, etc.

A titre d’exemple, et de façon très simpliste, voici comment on pourrait construire ces généalogies. Les exemples sont ceux de ‘société civile’ et de ‘gouvernance’, deux notions clés de l’univers contemporain
- La notion de société civile est ancienne. Après Tocqueville, elle ne semble toutefois plus jouer de grand rôle en théorie politique. Elle réapparaît dans les années 1970 dans le contexte de la dissidence en Europe de l’Est et dans la théologie de la Libération - ce qui conduit au renouveau de la politique des Droits. Elle rencontre l’émergence de nouvelles questions et formes d’action (de l’environnement à Act-up), les discours de Hayek, Nozick & Co — ce qui en fait une catégorie-frontière, incontournable et souple, et qui fait disparaître ‘la question sociale’, héritée du 19e siècle, comme la question centrale du politique
- Partie de la ‘gouvernance d’entreprise’ et du ‘management transparent’ (notions qui apparaissent avec le renouveau du pouvoir des actionnaires et le besoin de visibilité des gestionnaires financiers face aux administrateurs des fonds de pension), la gouvernance devient ‘bonne gouvernance’ (avec un appel normatif plus fort) à travers le discours de la Banque Mondiale puis des ONG — avant que n’émerge la ‘gouvernance globale’ (théorisée à la London School of Economics) et qui vise les valeurs planétaires communes.

Partie 6 - En conclusion, et pour être un brin provocateur, je soulignerais quatre idées

- L’importance de penser stratégiquement , de penser les questions dans leurs transformations à la fois massives, intriquées et contradictoires, et de les penser de façon simultanément critique, positive et pragmatique ; ceci est vital puisque l’univers dans lequel nous vivons semble s’être profondément transformé, qu’il est encore très ouvert — et que nous ne pouvons en rester, ni aux recettes anciennes (qui ne tiennent pas compte de ce qui a radicalement changé), ni au discours trop facile de la gouvernance globale et heureuse (trop aveugle devant d’autres réalités). Nous devons au contraire imaginer d’autres constellations, d’autres futures — et qui soient plus justes ;
- d’éviter la paresse intellectuelle, de ne pas rester replier sur ses questions et certitudes, de penser les potentialités positives et négatives de ce qui advient - de savoir prendre des risques dans les questions qu’on pose (poser aujourd’hui la question des régimes de propriété possibles par exemple, qui ne pourront pas ne pas être complexes et divers) ; de savoir que comprendre ce qui change aujourd’hui implique de se ‘coltiner’ à des questions de valeur, qu’il convient d’être imaginatif aussi dans ce registre, qu’il convient d’oser réfléchir à ce qui pourrait fâcher en essayant de ‘déplier’ d’abord les non-dits et les souffrances,
- et ainsi d’oser penser les questions de la « diversité écologique » de la recherche, de la variété sociale nécessaire des espaces producteurs de connaissances et de leurs possibles relations ; de penser la question de l’autonomie (des universités par exemple), prise qu’elle est entre responsabilité, demandes sociales, intérêts économiques et logiques propres de recherche, et qui suppose de penser des formes multiples d’évaluation ; de penser la question du Savoir entre sphère publique et appropriation, la manière dont on peut faire varier le curseur entre les deux, les effets induits dans le social, l’économique et la culture ; et d’autres, bien sûr ...